Prélude au désastre ...

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Prélude au désastre ...

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I – Pinkus

L’obscurité avait jusque-là été plaisante, accueillante. Reposante. Mais voilà que déjà, une faible lueur commençait à poindre. Le robuste guerrier poussa un grognement de frustration, basculant sur le côté.
« Bon sang, pas déjà … »
Il se borna à garder les yeux fermer quelques minutes de plus, espérant vainement profiter de la douce obscurité un moment encore. Peine perdu, la lumière extérieure commençait à envahir les lieux, lentement mais surement. C’est donc avec un soupir de résignation que Pinkus commença à ouvrir les yeux.
On était bien le matin, pas de doutes là-dessus. Il pouvait voir clairement le jour filtrer par l’ouverture de sa large tente. Sans s’adresser à personne en particulier, il grommela :
« D’accord, d’accord, j’ai compris … »
Il écarta d’un geste résigné les épaisses peaux de bête qui lui servaient de couverture. Un cadeau de sa femme, Vioran, pour leurs dix ans de mariage. Des peaux d’ours sanguinaire qu’elle avait traqué et vaincu elle-même. Confortables et aptes à procurer de la chaleur (et à la garder). Idéal pour avoir un surplus de confort lors des campagnes en terrain hostile.

Avec un regret évident, il abandonna les chaudes couvertures et se mit debout, frissonnant dans la rude froideur matinale. Le jour venait à peine de se lever et il pouvait déjà sentir à quel point la température extérieure était basse. Orick Vancaskerkin avait de la chance d’être un ami – il aurait refusé d’aller se geler les fesses dehors, en plein hiver, pour n’importe qui d’autre.

***

Une bonne demi-heure plus tard, Pinkus était prêt. Il avait effectué une toilette rapide et revêtu sa tunique et son harnois – aidé, bien sûr, par son aide de camp, Tarrick. Ce dernier était un des membres d’origine de sa compagnie mercenaire, un des guerriers de la colère qui avait autrefois servi la haute dame Athroxis dans la forge runique.
Tarrick était aussi doué pour l’escrime que pour la magie, et bien que Pinkus ait encore une méfiance naturelle pour la magie, même après toutes ces années, il appréciait les capacités de son aide de camp. Notamment le fait qu’il le fasse bénéficier chaque jour d’un sort d’endurance aux énergies, protégeant son corps du froid extrême qui régnait, là, dehors.

Les deux hommes avalèrent un petit déjeuner frugal, à base de fruits secs et de pain, le tout couronné par une tasse de café. Un luxe excessif que peu de mercenaires pouvaient se permettre, mais avec presque dix ans de métier à son actif et une poignée d’antres de dragons vidés de leur butin, Pinkus n’était plus vraiment dans le besoin. De fait, il restait dans le métier plus par passion que par nécessité. Sa compagnie n’acceptait que les missions qu’il jugeait honorable, celles destinées à protéger les faibles et les nécessiteux. Jamais il ne s’était engagé dans les luttes de pouvoir entre nobliaux ou seigneurs locaux. Il laissait volontiers cela à son camarade Cade Videpoche, qui avait choisi de rejoindre les services secrets du seigneur-maire Grobaras, à Magnimar.

Pinkus était quelqu’un qui n’avait aucun problème à dire qu’il voulait une vie simple et calme, loin du faste des grandes cours et des luttes futiles qu’on y trouvait. Peu lui importait de graver son nom dans l’histoire, de garnir les récits des chroniques des éclaireurs comme l’avait fait Maerlin. Il savait ce qu’il valait et pourquoi il agissait. C’était bien suffisant.

« Alors, qu’est-ce qu’on a aujourd’hui, Tarrick ? Des nouvelles de nos éclaireurs ? »
Pinkus ponctua son interrogation en buvant une gorgée de café, appréciant la chaleur se déversant dans son gosier tandis que Tarrick sortait son carnet de notes. Le magus y jeta un œil, mettant ses idées en ordre avant de répondre :
« Ils m’ont fait un rapport avec un sort de communication à distance ce matin, et les nouvelles ne sont pas vraiment bonnes. La montagne grouille littéralement d’ogres et de trolls. Au vu du nombre, il est évident que l’on à faire à une coalition de clans. C’est impossible qu’ils aient été de base présent en de telles quantités ici. Après, quant à savoir d’où viennent ces créatures exactement … »
Pinkus soupira : « Une coalition de clans, hein ? Les ogres et les trolls ne se regroupent de la sorte que quand un leader charismatique ou inhabituel apparait et les force à coopérer. En général parce qu’il est infiniment plus fort qu’eux. Maintenant, la question est évidemment : de qui peut-il s’agir ? Et dans quel but ? »

Pinkus se leva, sa tasse à la main, marchant jusqu’à l’entrée de la tente. Il en écarta un volet pour jeter un coup d’œil à l’extérieur.
Il balaya le camp du regard, éprouvant une certaine fierté à la vue des nombreuses tentes éparpillées partout autour de lui. Sa compagnie comptait à présent une cinquantaine d’hommes d’armes – relativement petite comparé à certaines, certes, mais chacun de ses membres était un vétéran accompli, capable de prouesses martiales (et magiques, pour certains) qui leur aurait valu une place d’officier dans n’importe quelle armée régulière.
En plus des combattants, sa compagnie comptait une vingtaine de « petites mains » : artisans, cuisiniers, soigneurs … La plupart étaient des nains originaires de Janderhoff, une citée ou Pinkus avait acquis une haute réputation auprès des autorités dirigeantes.

Le camp avait fière allure, niché à flanc de montagne, au milieu du blanc manteau de neige qui recouvrait les alentours. Organiser ce dernier avait été une gageure, au vu du climat hostile et du terrain escarpé. Il leva ensuite les yeux, observant le sommet de la montagne crochue, perdu dans les brumes.

Cela faisait maintenant un mois que Pinkus était sur cette mission. Les choses avaient commencés par un courrier envoyé depuis Fort Rannick à Pointesable : les soldats des Flèches noires avaient dû intervenir dans de nombreuses attaques sur des fermes isolées, menées principalement par des ogres, mais aussi parfois des trolls et des géants des collines. Les rapports étaient sans équivoque : nombre de ces créatures infestait à nouveau la région, et elles récupéraient des provisions en vue de quelque chose de grand.
C’est presque tout naturellement qu’Orick Vancaskerkin, nouveau commandant en chef des Flèches noirs et ami de Pinkus, avait demandé au robuste guerrier son aide, arguant qu’il avait déjà fait ses preuves en tant que tueur de géants.

Tarrick rejoignit Pinkus après quelques instants, poursuivant son rapport :
« Nous avons de bonnes raisons de croire que le gros des troupes ennemies se trouve au sommet de la montagne ...
-Evidemment, le coupa Pinkus. C’est là-haut que se trouve l’ancienne forteresse du clan Kreeg. Enfin, forteresse … ce n’est rien d’autre qu’une série de grottes qui s’enfoncent dans la montagne. Mais elles sont parfaites pour loger une large quantité de troupes. »
Tarrick opina brièvement.
« Certes. Qui sait, peut-être est-ce une vendetta organisée par le clan Kreeg, justement ? Après la mort de leur dirigeant il y a dix ans … »
Pinkus secoua la tête.
« Non. Jaagrath Kreeg était une brute semblable à mille autres, personne ne voudrait venger quelqu’un comme lui. Sans compter que si des membres du clan Kreeg avaient survécus, ils n’auraient pas attendu dix ans pour chercher vengeance. Du point de vue d’un ogre, dix ans, c’est de l’histoire ancienne. Des légendes d’antan, presque. »
Tarrick attendit que son patron ait finit sa phrase avant de continuer :
« Autre chose, monsieur. Les éclaireurs disent que les ogres ont balisés les chemins dans la montagne avec des repères … des rochers marqués du symbole de Sihédron. »
Pinkus tressaillit à la mention de ce nom, plissant les yeux alors qu’il se retournait lentement vers Tarrick. Ce maudit symbole … A chaque fois qu’il était apparu dans sa vie, ce symbole avait été le présage à des catastrophes de masse. C’est instinctivement que sa main se porta sur la garde de l’épée longue qu’il avait au côté.

C’est presque sur un ton fataliste qu’il finit par dire : « Je suppose que j’ai bien fait d’écouter mon intuition et de ne pas emmener ma famille avec moi, alors … »
Tarrick eu un sourire amusé : « Quand bien même ce sont vos enfants, je pense que du haut de leurs 8 et dix ans respectifs, ils sont encore un peu jeunes pour prendre les armes, monsieur ! A ce propos, comment se porte dame Vioran ?
-Elle va bien, Tarrick, merci. Oh, elle voulait venir, sois en assuré, mais j’ai réussi à l’en dissuader. De toute façon, elle ne rentrait plus dans son armure, alors … »
Tarrick sourit à nouveau : « Septième moi de grossesse si je ne m’abuse ?
-C’est ça. Du coup je lui aie promis que la prochaine mission serait sous son commandement et que ce sera moi qui resterai avec les enfants cette fois-ci.
-Vous en ferez de grands combattants, j’en suis sûr ! »
Pinkus eu un rire franc : « Ah, je ne sais pas … mon aîné n’a pas vraiment l’air intéressé par le métier des armes. Je pense que ce qui lui conviendrait le mieux se serait plutôt … »

Pinkus s’interrompit en plein milieu de sa phrase, le poing serré. Cette sensation … ce moment ou votre gorge se serre, ou vous sentez les poils de votre nuque se hérisser … l’instinct du guerrier vétéran, une mise en garde avant la catastrophe. Tarrick et lui échangèrent un regard bref – ils étaient tous les deux sur la même longueur d’onde. Quelque chose allait de travers.

« Soldats, en formation ! »

Pinkus avait à peine eu le temps de crier son ordre quand la tente la plus à l’est du campement fut arrachée du sol et jetée sur le côté, comme un fétu de paille. Les piquets et la toile solide étaient encore en train de voler dans les airs quand une silhouette tremblotante commença à se matérialiser au milieu de la neige. C’était une brute immense, de presque trois mètres de haut, couverte de pied en cape d’une armure de peaux primitive, faite à partir du cuir de diverses bêtes. La créature affichait des muscles solides et noueux, et serrait dans ses mains une arme en forme de crochet aussi massive qu’aiguisée. Son visage était frustre, presque bestial, marqué par les ravages du climat, du manque d’hygiène et de la consanguinité.

Un ogre.

Les fournitures et tentes en bordure du camp commencèrent à être balayé ici et là, alors que des ogres commençaient à apparaitre un peu partout, se jetant sur les mercenaires de Pinkus. Tarrick poussa un juron : « ces brutes ont les moyens se rendre invisibles ? Bon sang ! »

Sans ajouter un mot de plus, il dégaina son arme, un cimeterre en adamantium élégamment décoré de gravures en or, marmonnant ce que Pinkus savait être une formule magique. A l’issu de cette dernière, la lame de son cimeterre fut nimbée d’une aura flamboyante, et Tarrick ne perdit pas un moment à se jeter sur les ogres apparu à l’est.

D’un accord tacite et non verbal, Pinkus se dirigea vers le flan ouest, et chacun des deux hommes se mit à hurler ordres et directives tout en allant croiser le fer avec les ogres. Passé le moment de surprise et de confusion initiale, ses hommes furent rapides à reprendre la situation en main. Les ogres se comportaient comme des ivrognes dans une bagarre de taverne : ils agitaient leurs armes en vociférant des insultes, sans se soucier d’autre chose que de leurs adversaires immédiats, avec pour seule tactique la charge frontale.
En comparaison, Pinkus et ses mercenaires se battaient d’un seul ensemble, prenant leurs ennemis en tenaille, profitant du terrain et opérant un savant mélange de compétences, entre les combattants au corps à corps, les archers à distance et la petite poignée de lanceurs de sorts qui soutenaient les combattants par diverses incantations de protection ou de soins.

Pinkus était au cœur de la bataille, tenant tête à trois ogres à lui seul. Son armure et son bouclier étaient solides, protégés par de puissants enchantements que les armes primitives des ogres n’arrivaient pas à percer. Son épée, chargée de la puissance magique venue du cœur de la forge runique, taillait et tranchait en profondeur dans la chair des ogres, sans qu’il ne fournisse le moindre effort. Cette embuscade serait vite contenue, se dit-il. C’est à ce moment-là qu’il entendit un sifflement lointain et presque familier. L’instant d’après, il se trouvait au cœur d’un brasier dévorant, alors qu’une massive boule de feu vint le percuter de plein fouet, rôtissant les ogres moribonds qui tentaient encore de lui tenir tête.

Pinkus serra les dents, encaissant la douleur alors que les flammes disparurent aussi vite qu’elles étaient apparu. La neige autour de lui s’était évaporée en une flaque d’eau boueuse. Il repoussa les carcasses des ogres sur le côté pour se dégager un champ de vision, et se figea, stupéfait. Une ombre immense s’étalait sur le champ de bataille. Il releva la tête, et un flot d’adrénaline commença à se déverser en lui. Ses yeux ne le trompaient pas. Jamais il n’aurait cru revoir une de ces créatures. Pour le peu qu’il en savait, il n’en restait plus qu’une poignée dans toute la Varisie, de nos jours.

« Dites-moi que je rêve … »
Un véritable titan était apparu au-dessus du champ de bataille, flottant dans les airs. Comparé à lui et ses presque douze mètre de hauteur, même les ogres semblaient minuscules. C’était un humanoïde musculeux, à la peau d’un noir charbonneux, dont les bras étaient marqués de tatouages runiques. Des runes Thasiloniennes. Et elles brillaient de mille feux.
Le titan était recouvert d’une lourde armure de plaque à l’aspect exotique, rappelant ces étranges guerriers nommés « Samouraï » du continent du Tian-Xia. Son crane était presque entièrement rasé, ne supportant rien d’autre qu’une longue natte de cheveux rouges. Ses yeux étaient deux orbes écarlates brillant d’une lueur haineuse.

Pinkus resserra son emprise sur son arme. Un géant runique, ici ! Une foule de questions commença à se bousculer dans sa tête. Ce genre de créature n’agissait pas au hasard, sa présence ici devait avoir quelque chose à voir avec ses maîtres d’antan, les seigneurs des runes !
Un bref coup d’œil aux alentours permit à Pinkus de constater que l’apparition du géant runique avait redonné un élan de motivation aux ogres, et que des trolls commençaient à rejoindre la mêlée, arrivant depuis les étroits chemins de montagne entourant le camp.

Il prit une profonde inspiration. Les questions attendraient. Ce qu’il fallait maintenant, c’était disperser les troupes ennemies, et pour ça … Il eut un sourire nerveux.

« Je suppose que je vais devoir te découper en rondelle devant tes esclaves … » dit-il à l’encontre du géant. Il ne connaissait pas grand-chose à la magie, mais il avait côtoyé un certain magicien tieffelin suffisamment longtemps pour retenir une chose ou deux sur les géants runiques. Notamment le fait qu’ils disposaient d’une emprise mentale puissante sur les autres races de géants. Tomber le chef. Voilà tout ce à quoi il devait penser, là, tout de suite.

Pinkus marmonna un mot de commande, et de petites ailes apparurent soudainement sur le côté de ses bottes. Une impulsion brusque, et voilà qu’il se propulsait dans les airs, filant vers le géant runique.

« Je ne sais pas quel seigneur des runes tu servais autrefois, et je m’en fous ! Mais j’en ai tué un moi-même, alors passe le bonjour à Karzoug quand tu seras dans l’au-delà ! »

En guise de réponse, le géant runique poussa un rugissement sonore qui résonna dans la vallée toute entière.

***

« Vous allez bien ? Désolé, patron, mais c’est tout ce qui nous reste … »
Pinkus grimaça alors que Hilda nouait un bandage autour de son torse. La guérisseuse naine s’excusa à nouveau alors qu’elle finissait son ouvrage.
« Il faut dire, aussi, patron, vous auriez pu l’envoyer s’écraser autre part, celui-là …
-Vraiment désolé, Hilda, bougonna Pinkus. La prochaine fois, tracez moi une croix à l’endroit où vous voulez voir atterrir mon ennemi … »
Hilda grommela à son tour : « oh, on s’est levé du mauvais pied ce matin, hein ? Allez, ç’aurait pu être pire, les bandages aussi auraient pu être stockés dans cette tente-là ! »
Pinkus reporta à nouveau son regard sur la gauche. Le corps du géant runique avait chuté au sol après qu’il l’ai vaincu, venant s’écraser en plein sur le dispensaire et les fournitures médicales, détruisant l’équivalent de plusieurs centaines, si ce n’est de milliers de pièces d’or de matériel médical ; potions, baguettes, parchemins …

Pinkus serra les dents. Le géant avait été difficile à vaincre, et la douleur lancinante qu’il ressentait dans le torse lui fit comprendre qu’il avait au moins deux côtes de cassé. Il faudrait un peu plus que de simples sorts de soins pour guérir ça.

Alors qu’il récupérait, il fut rejoint par Tarrick. Ce dernier était couvert de sang – le sien ou celui de ses ennemis, difficile à dire.
« Monsieur, je suis heureux de vous annoncer que nous n’avons pas eu de morts, mais nombre de nos soldats sont gravement blessés, et nos soigneurs …
-sont à cours de sorts de guérison, je sais oui. Je viens de le constater de première main. »
Tarrick eu un sourire amusé. Les choses auraient pu être bien pires, en effet.
« Donc, monsieur ? Vos ordres ? »
Pinkus regarda à nouveau le corps du géant runique, pensif.
« Rassemblez les corps de nos ennemis et brûlez les. Les trolls en premiers, et assurez-vous qu’ils soient vraiment morts, aussi. Occupez-vous des blessés graves. Dès demain, quand nos soigneurs seront à nouveau opérationnels et pourront nous traiter avec autre chose que des morceaux de tissus …
-Hé ! s’exclama Hilda, avant que Pinkus ne poursuive :
-il faudra faire bénéficier les plus gravement blessés des sorts de soins en priorité. Ensuite, vous prendrez le commandement des opérations Tarrick, et reprendrez l’ascension de la montagne pour finir de nettoyer l’endroit. Avec la mort de leur chef et de l’emprise mentale qu’il avait sur eux, les géants qui restent n’auront plus de cohésion et vont sans doute se déchirer en querelles intestines. Vous vous assurerez qu’aucun d’entre eux ne vous échappe. »
Tarrick acquiesça, avant de demander :
« Vous ne restez donc pas avec nous, monsieur ?
-Non. Je pars dès demain pour Magnimar. Quelqu’un doit aller les prévenir de ce qui s’est passé ici. Et … j’ai quelques questions à poser à un vieil ami.
-Des questions, monsieur ?
-Tarrick, vous savez comme moi que l’apparition d’un géant runique est forcément liée aux seigneurs des runes. Cette fois-ci, je veux être prêt.
-Bien sur monsieur. »

Pinkus ne put s’empêcher de regarder en direction du cadavre du géant runique une fois de plus.
« Et Cayden Cailean nous vienne en aide si l’un de ces maudit magicien essaie de revenir à la surface de la Varisie une fois encore … »
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II - Cade

Il y avait une vielle maison abandonnée dans le secteur de l’Ombre à Magnimar – ce secteur réservé aux indigents et aux miséreux de la ville, juste sous le massif Irespan, pont gigantesque construit à l’époque du Thassillon.
Une vieille maison à moitié penchée, à’ l’allure branlante, aux portes et fenêtre condamnées. Personne n’osait s’en approcher, de peur de la faire s’effondrer en tentant de forcer la porte et beaucoup ne la voyaient tout simplement pas, cachée qu’elle était par l’obscurité ambiante.

En ce froid matin, c’était pourtant un des lieux les plus importants de la citée aux monuments, car elle accueillait le chef des services secrets de Magnimar, Cade Videpoche. Cette vieille ruine était en réalité une de ses nombreuses planques annexes – il ne dormait jamais plus de deux nuits au même endroit. Personne n’aurait pu se douter que la vieille bicoque au bord de la destruction était en réalité fort solide, dotée de murs épais, et accueillait un mobilier et des biens dont la richesse et le luxe étaient presque injurieux vis-à-vis de la misère dans laquelle vivait les gens du quartier.

Comme à son habitude, Cade s’était réveillé aux aurores, prenant ses deux petits déjeuners réglementaires – agrémentés d’une poignée de bonbons - comme tout bon halfelin. Alors qu’il finissait de se préparer - vérifiant que les fourreaux à ressorts cachés dans ses manches et les dagues qu’ils accueillaient étaient fonctionnels – il entendit des éclats de voix au dehors. Le crieur local, ponctuel comme à son habitude. Un des petits avantages de cette planque, avec l’information à sa porte de bon matin.

« Un mort retrouvé près d’un des piliers de l’Irespan ! Aucune trace de blessures ! Le fantôme du pont aurait-il encore frappé ? »

Cade soupira. Un fantôme … les gens s’imaginaient toujours que les décès étaient dus à des choses fantastiques la plupart du temps. La réalité était surement beaucoup plus simple – Junkie ayant fait une overdose, ou bien ivrogne ayant passé la nuit dehors et ayant succombé au froid.
Mais il fallait bien admettre que ces rumeurs de fantôme se faisaient de plus en plus pressantes depuis une semaine ou deux. Il faudrait qu’il lance une enquête sur le sujet, éventuellement. Et qu’il commande aussi à ses services de logistique une arme capable de trancher la chair éthérée d’un esprit en peine, si jamais l’agent chargé de la mission se retrouvait bel et bien face à un fantôme.

Cade continua à écouter la diatribe du crieur alors qu’il ajustait les attaches de son armure de cuir. Le reste du discours ne lui appris rien qu’il ne savait déjà. Aussi, il souleva le tapis au milieu de la cuisine, révélant une trappe épaisse et renforcée de ferrures en fer. Un simple contact avec l’anneau de bronze passée à sa main, et celle-ci s’ouvrit brusquement. Il descendit la petite échelle, arrivant en bas, dans les égouts de la ville. Il avait à peine lâché le dernier barreau de l’échelle quand il entendit la trappe se refermer d’elle-même là-haut.

Un pas de plus, et Cade fut assaillit par des jappements enjoués, alors que Druûl se jetait sur lui. Le gigantesque renard, de la taille d’un poney, se frotta contre lui, faisant de petits bonds. Cade ne put s’empêcher de sourire : « Oui, oui, je sais, tu aurais aimé passer la nuit près de moi ! »
Le renard géant émit une petite série de couinements rapides, avant de lécher le visage de son maître. Cade le caressa en retour.
Cette bête formidable était un cadeau de Maerlin. Enfin … un cadeau qu’il avait réclamé à grands cris, pour être honnête … Il y a trois ans de cela, une équipe d’éclaireurs de Magnimar était partie en exploration dans le premier monde et ils en avaient ramenés cette étrange créature. Cade la découvrit lors d’une visite à la loge, et ce fut pour ainsi dire le « coup de foudre ».

Druûl était visuellement semblable à un renard, si l’on faisait abstraction de sa taille et de ses yeux dorés, luisant faiblement dans l’obscurité. Mais il était infiniment plus intelligent, et Cade était venu à le voir comme son ami le plus proche, l’accompagnant dans toutes ses missions.
Quand il y repensait, voir cette magnifique créature enfermée dans une cage, avec un regard si triste, lui avait retourné le cœur. Heureusement que Maerlin n’avait pas fait trop de difficultés pour lui céder cette superbe créature.

« Allez, Druûl, il est temps d’aller travailler ! » Cade caressa son camarade derrière l’oreille avant de l’enfourcher, agrippant fermement son épaisse fourrure de ses petites mains. Druûl poussa un petit glapissement heureux, avant de commencer à filer à toute allure dans le dédale des égouts, courant sur les larges bordures des canaux, sautant parfois au-dessus de zones effondrées pour atterrir de l’autre côté.
Finalement, après un trajet à toute allure d’une vingtaine de minutes et l’ouverture d’un passage secret ou deux, Cade se retrouva dans les sous-sols de son organisation. Il mit pied à terre alors qu’il était accueilli d’un hochement de tête par un vieil halfelin arborant des cheveux gris et une large moustache. Vêtu d’un tablier et nonchalamment appuyé sur un balais, le vieillard fut salué en retour par Cade : « Salutation, Berem !
-Salutation, patron ! »
Il vint alors caresser le menton de Druûl : « Alors, garnement ? Le patron ne t’en fait pas trop voir de toutes les couleurs, hum ? »
Le renard se contenta d’un glapissement sonore. Le vieux Berem se retourna alors vers Cade : « Ils vous attendent tous dans le grand bureau, patron. Vous pouvez y aller, je vais m’occuper de nourrir ce garnement.
-Merci, Berem. »

Une dernière caresse sur la tête de Druûl, et Cade s’engagea dans l’escalier principal menant au cœur du bureau des services secrets de Magnimar. Originellement, les bureaux étaient situés dans un vieux bâtiment administratif située à quelques jets de pierre du manoir du seigneur-maire, mais Cade avait insisté pour relocaliser ses agents dans un lieu moins en vue. Evidemment, Grobaras avait couiné, comme à chaque fois qu’il était forcé de dépenser de l’argent. Mais il avait plutôt tendance à écouter les avis de Cade – après tout, il faisait partie du groupe qui avait empêché son assassinat, 10 ans plus tôt. Ce genre de petits détails vous donnait du crédit, en général.

Cade traversa rapidement les couloirs de l’organisation pour aller jusqu’au grand bureau, l’espace où il travaillait au quotidien avec ses plus proches collaborateurs. Les lieux étaient déserts, depuis quelques temps. Tous ses agents étaient en mission à l’extérieur : une quantité folle de lettres de menaces avaient été envoyés à bon nombre des nobles de la ville, et beaucoup de ses agents étaient affectés à des missions de protection rapproché. Il y avait même eu une poignée de tentatives d’assassinat sur certains nobles, heureusement toutes maîtrisées. Une autre partie non négligeable de ses agents étaient occupés à chercher les responsables. Les premiers éléments d’enquête indiquaient que les assassins étaient possiblement originaires de la lointaine citée de Korvosa.

C’était une affaire d’importance, mais plus les investigations avançaient, plus des choses commençaient à le déranger profondément. Tout d’abord les tentatives d’assassinat en elles-mêmes. Les tueurs étaient tout sauf des professionnels consommés, ce qui démontrait d’un manque de sérieux flagrant quand on cherche à se débarrasser de gros poissons comme les nobles de Magnimar. Et pourtant, chaque tueur s’était battu jusqu’à la mort, et même quand ils étaient neutralisés, ils tombaient raide morts dans les minutes qui suivaient. Une sorte d’enchantement, à ce qu’il avait compris, pour être sûr que l’assassin ne puisse rien divulgué s’il était pris.

Cade avait un temps pensé que ces assassins en herbe étaient des fanatiques religieux du Père-écorcheur, cet avatar du meurtre psychotique faisant partie des différents aspects du dieu Norgorber. Après tout, il avait eu une expérience de première main avec ces fous par le passé. Mais il n’avait trouvé aucun indice probant pour étayer cette théorie.

De plus, il savait que la seule organisation criminelle de Korvosa – la société Céruléenne – s’occupait avant tout d’affaires de recel, vol à la tire et contrebande. Sans compter que leur chef de guilde, une brute chauve nommée tout simplement « Boule » n’était rien de plus qu’un homme de paille. C’était un des nobles les plus importants de la ville, Glorio Arkona, qui tirait les ficelles de l’organisation.

Les Arkona étaient des nobles mystérieux, cachant surement un tas de sombres secrets, mais Cade savait avec certitude que Glorio n’avait jamais utilisé la guilde pour effectuer de basses besognes liées au meurtre. Enfin, après l’épidémie de cette espèce de peste appelée « le voile sanglant » qui avait décimée Korvosa il y a une dizaine d’années, la guilde avait perdu de sa prestance et de ses moyens.

Fallait-il alors envisager qu’un nouveau joueur était apparu au cœur des ombres de la Varisie ? Il n’arrivait pas à croire qu’une nouvelle organisation criminelle puisse surgir ainsi de nulle part sans avoir donné naissance à des signes avant-coureurs.

En tous les cas, les lieux étaient bien vide ce matin, et c’est presque en soupirant qu’il poussa les doubles portes menant au grand bureau. Il avait à peine fait un pas dans la pièce qu’il fut noyé sous un flot de salutations et de bienvenues. Il se fit un devoir de répondre à chacun de ses lieutenants. Tous étaient là : Geruld, le gnome aux cheveux violets avec un énorme monocle, Magla, la femme-rat emmitouflée dans dieu sait combien d’épaisseurs de tissu, ses fioles de poison tout le tour de la taille ou encore Azir, le vieux wayang avec sa moustache extravagante et ses bras couverts de bracelets cliquetants.
Plus en retrait se trouvait également Bodrick, un jeune halfelin en tenue formelle et au regard peu assuré – son tout dernier apprentie. Un jeune homme plein de talent, mais écrasé par la réputation de ses pairs et avec un manque chronique de confiance en soi. Enfin, il y avait bien sur la délicieuse Sybil, halfeline également, avec ses courbes agréables et ses longs cheveux blonds comme les blés. Et ce sourire à se damner capable de pousser le pire des criminels endurcis à la confession.

Cade alla prendre place derrière le bureau situé au fond de la pièce, savourant le confort du fauteuil rembourré de cuir. Sans introduction particulière, il s’adressa directement à ses lieutenants :
« Bien, faisons le point ce matin … Bodrick, vous vous chargerez de la prise de note. »
Le jeune homme tressaillit à l’énoncé de son prénom, et sortit rapidement un petit carnet de la poche de son veston sans manches : « B-Bien sûr monsieur Videpoche ! »

Cade soupira : « Allons, Bodrick, ne me faite pas cet air de chien battu habituel ! Vous faites partie de l’élite ici, vous devriez être fier de vous ! Sûr de vous ! »
Bodrick rougit, baissant un peu plus les yeux, réajustant ses petites lunettes : « O-Oui, monsieur … bien sûr, je … je vous suis reconnaissant de me donner l’occasion de … euh … faire mes preuves, et je … euh … enfin … »
Le son de sa voix diminuait au fur et à mesure qu’il parlait, jusqu’à s’éteindre dans un souffle gêné, provoquant l’hilarité d’Azir : « Respire, Bodrick, Respire ! »
Cade secoua la tête. Avait-il fait le mauvais choix en prenant ce jeune homme sous son aile ? Non … Bodrick avait du potentiel, il fallait juste qu’il trouve l’occasion de le mettre en face d’une situation où il pourrait briller et ainsi gagner confiance en lui. En tous les cas, c’était un problème à mettre de côté pour plus tard.

« Alors, des nouvelles ? Des idées sur cette organisation mystère ? »

Geruld, le gnome au monocle surdimensionné (qui, selon lui, cachait pas moins d’une dizaine d’armes mortelles en son sein), lissa son bouc à la longueur excessive, avant de prendre la parole : « Mes informateurs m’ont fait part d’une piste potentielle. Vous souvenez vous de cette guilde de ninja qui étaient basés à Karlsgard, dans les terres des Rois de Linnorm ? »

Cade fronça les sourcils, creusant sa mémoire : « Les ombres gelées ? »
Le gnome opina : « Celle-là même. »
Cade pencha la tête, la reposant sur son poing gauche : « Mais ils ont été anéantis en 4711, non ? Leur forteresse a été prise d’assaut et l’éminence grise derrière l’organisation, une riche marchande de Karlsgard, tuée également. J’en sais quelque chose, une bonne amie à moi était impliquée dans cette affaire. »
Geruld agita la main dans le vide : « Oui, oui, bien entendu, anéantis, morts, kaput … mais vous savez comme moi que quand une organisation s’effondre, une poignée de membres survivent toujours. Or l’un de ces ninjas aurait été aperçu ici même, à Magnimar, il y a quelques jours !
-Oh ? Vous avez un profil ? »
Le gnome lissa à nouveau son bouc : « Mais évidemment … Nous aurions affaire à un hobgobelin, un spécialiste des poisons et des infiltrations discrètes. Plutôt âgé, à ce que l’on dit, donc forcément dangereux … »
Magla eu un ricanement sec : « Ha, cette bonne vieille maxime … toujours se méfier d’un vieillard dans une profession ou l’on meurt jeune, hein ? »

Ses lieutenants se mirent à débattre avec Cade de la probabilité que ce tueur soit lié à l’affaire qui les préoccupait. Personnellement, il n’était vraiment pas convaincu. Rien ne semblait étayer l’association de ce hobgobelin à leur affaire, mais curieusement, ses lieutenants semblaient ne pas vouloir en démordre, alors qu’en arrière-plan, Bodrick était penché sur son carnet, prenant frénétiquement des notes.

« Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à s’acharner sur ce que est surement une fausse piste ? » se dit Cade alors que ses lieutenants débattaient entre eux.
De fait, ces derniers temps, il avait l’impression de ne plus reconnaitre ses camarades. Ces derniers étaient toujours les mêmes, mais … sans qu’il n’arrive à mettre le doigt dessus, il y avait quelque chose qui le dérangeait. C’était comme si …

« Vous voulez du thé, patron ? »
Il fut tiré de son introspection par Sybil qui lui adressait l’un de ses formidables sourires.
« Euh … oui, merci, volontiers. »

Ha, Sybil … cela faisait quatre ans qu’elle avait intégré la guilde, et il en était tombé amoureux au premier regard. Elle avait tout pour elle : belle, intelligente, et née avec une capacité à jouer l’innocente comme personne. Sa meilleur espionne, de fait.
Oh, combien de fois il avait voulu lui confier ses sentiments, lui dire ce qu’il ressentait … mais il savait au fond de lui que ce genre d’idylle n’était pas possible. Pas dans ce métier, pas avec les risques que cela impliquait.
Il lui sourit gentiment alors qu’elle versait tu thé dans sa tasse, laissant son regard courir sur elle. Ses longs cheveux, ses yeux magnifiques, ses lèvres pulpeuses et bien sur son …

Le cœur de Cade manqua un battement. Non … non ! Il n’avait pas fait manque de perception à ce point ?
Un sentiment de pure panique commença à envahir son esprit, mais il resta de marbre, continuant de sourire à Sybil. En une fraction de seconde, son regard balaya la pièce, analysant la zone d’un œil nouveau. C’est alors que quantité de choses que son esprit fatigué avait jusque-là occulté le frappèrent de plein fouet. Grand dieux … comment avait-il pu être aussi aveugle ?

« Mademoiselle Sybil … »
L’intéressée releva la tête alors qu’elle avait fini de verser le thé dans la tasse de Cade : « Oui ?
-Vous êtes … la plus belle femme que j’ai jamais rencontrée. Je le jure sur mon honneur. »
La voix de Cade était sèche, alors qu’il sentit son cœur se serrer en prononçant ces mots.
Sybil le regarda un instant, les yeux remplis de curiosité et de surprise. Puis elle hocha simplement la tête sur le côté, affichant un radieux sourire : « Oh … merci ! »

La seconde d’après, Cade effectuait un rapide mouvement du poignet. D’une simple impulsion, la dague cachée dans son fourreau jaillit dans sa main. Sybil lui souriait encore alors que la lame décrivait un arc de cercle, pénétrant sa trachée, traçant un sillon sanglant dans ses chairs. Elle souriait encore alors que son corps commençait à basculer en arrière, la théière quittant sa main pour tomber au sol, sa gorge tranchée propulsant une giclée de sang sur le bureau en acajou, aspergeant documents et bibelots.

Ses Lieutenants commençaient à peine à comprendre ce qui se passait que Cade avait déjà bondit hors de sa chaise, prenant appuis sur le bureau avant de se propulser en avant, ses dagues pointées vers Geruld.
Ce dernier sortie son épée courte de son fourreau à toute vitesse, parant l’attaque de Cade de Justesse. Il poussa alors un sifflement furieux, semblable à celui d’une bouffée de vapeur s’échappant d’une fissure dans le sol. Magla et Azir firent écho à Geruld, émettant le même sifflement. L’instant d’après, leurs corps à tous les trois fut pris de tremblement, leur peau ondulant comme si des serpents se baladaient dessous.
Une fraction de secondes plus tard, leur peau se contracta, se repliant de façon surnaturelle sur elle-même. Ce n’était plus Geruld le gnome, Azir le wayang et Magla la femme-rat qui faisait face à Cade, mais d’horrible humanoïdes recouverts d’une peau mat, tout en replis et en crevasses, au visage lisse et dépourvus d’yeux, de nez ou même de bouche.

Bodrick bascula en arrière sur son siège, terrorisé, lâchant la tasse de thé qu’il tenait en main : « Mais ! Mais ! Mais enfin ! »
Les créatures ne lui prêtèrent aucune attention, commençant à ferrailler contre Cade. Ce dernier avait fait jaillir sa seconde dague dans sa main gauche, et il multipliait les parades et mouvement d’esquive pour éviter de finir encerclé.
« Bodrick ! J’ai besoin d’aide, alors remuez-vous ! »

La créature qui portait les atours d’Azir laissa s’échapper un ricanement malsain : « Tu t’en remet à ce minable pour survivre ? Oh, Videpoche, tu es tombé bien bas ! »
Cade garda la tête froide, continuant de parer les coups : « Depuis combien de temps ? Depuis combien de temps avez-vous pris leur place ? »
Un nouveau ricanement rauque : « Hé, hé … tu aimerais bien savoir, hein ? Mais non, tu ne sauras rien, si ce n’est que notre employeur se réjouira de ta mort ! »
Cade bloqua une nouvelle passe, en soupirant : « Vraiment ? Alors plus la peine de faire semblant d’être vulnérable, j’imagine … les fanatiques comme vous ne parlent jamais de toute façon … »

Cade s’élança alors en avant avec une vitesse d’attaque accrue, parant sans peine des attaques qu’il avait bien du mal à dévier quelques instants plus tôt.
« Tu t’es joué de nous, maudit courtaud ! » rugit la créature qui était encore il y a peu la femme-rat Magla.
Cade ne perdit pas de temps à répondre, et s’élança en avant, faisant une roulade pour passer derrière « Magla ». Avant même qu’elle puisse se retourner, il lui labourait le dos avec ses dagues, perforant plusieurs points vitaux. Il sortit ses dagues de sa chair dans un bruit mou, juste à temps pour bloquer une attaque conjointe de « Geruld » et « Azir ». Puis « Geruld » poussa alors un cri étouffé, avant de s’effondrer au sol, face contre terre.
« Azir » eu un cri de surprise et de confusion : « Mais, que … »
Il l’aperçu alors : Bodrick se tenait derrière le cadavre de son camarade, un stylet dégoulinant de sang à la main. Le jeune halfelin avait le souffle court, la main tremblante, mais son regard, derrière ses petites lunettes rondes, n’était pas celui de quelqu’un de paniqué. Non. On y lisait la détermination d’un lion.

« Azir » émit alors un nouveau chuintement, comme un cri de frustration : « Vous pensez que vous allez vous en sortir juste en me tuant ? Je ne suis qu’un parmi tant d’autres ! Vous n’avez aucune idée de ce qui vous attend ! »
Cade eu un sourire narquois : « Oh ? Merci pour l’information, j’imagine … »
Un nouveau chuintement de rage, et « Azir » s’élança en avant, cherchant à faucher Cade avec ses griffes. Mais il vit venir l’attaque de loin et bloqua avec ses dagues, alors que Bodrick surinait la créature dans le dos. Affaiblie et mal en point, elle fut rapidement achevée par Cade, et un silence de mort tomba dans la pièce.

Cade se retourna alors lentement vers le corps de la créature qui avait pris les traits de Sybil, serrant ses dagues jusqu’à ce que ses jointures blanchissent. Quel idiot il avait été …
Derrière lui, Bodrick remettait ses lunettes en place d’un geste nerveux : « M-Monsieur … que signifie … »
D’une voix lasse, Cade se fit un devoir d’expliquer la situation à son courageux, mais peu clairvoyant disciple. Il avait au moins mérité ça.
« Ces choses sont des traqueurs sans visage, Bodrick. Des métamorphes. Ils ont pris la place de nos camarades depuis … quelques temps, je suppose. »

Bodrick pris le temps de digérer l’information avant de demander d’une voix timide : « Ha. Euh … ahem … et … comment avez-vous devinez que je n’étais pas l’un d’entre eux ? J’aurais pu vous aider temporairement pour mieux vous assaillir après avoir gagné votre confiance ! Enfin, euh, je ne dis pas que, euh … »
Cade soupira d’exaspération : « Bodrick … ça fait plus de dix secondes que je vous tourne le dos, et vous n’avez pas encore cherché à m’y planter votre stylet. Soit vous n’êtes pas l’un d’entre eux, soit vous êtes le pire assassin qu’ils aient en réserve ! Dans un cas comme dans l’autre, je ne suis pas en danger ! »
Bodrick devint rouge de honte : « Ahem, je … bien sûr … E-Excusez-moi …». Bien que se sentant remis à sa place, il ne put s’empêcher de poser une autre question : «M-Mais … comment avez-vous su … »

Cade resta un moment à fixer le corps du traqueur qui avait copié Sybil, retenant son envie de pleurer.
« Sybil … elle avait un grain de beauté sur le bas du cou, à droite. Petit, difficile à remarquer. Ce traqueur ne l’a pas copié, et c’est cette erreur qui fait que nous respirons encore tous les deux. »
Il pointa alors une de ses dagues en direction de la tasse de thé posée sur son bureau : « Si j’étais vous, je ne boirais pas ça.
-Il va sans dire, monsieur. »

Oui, les traqueurs sans visages étaient doués pour copier l’aspect des gens, mais pas leurs manières. C’est quand il avait remarqué l’absence du grain de beauté de Sybil qu’il avait alors réalisé que ses lieutenants n’étaient pas eux-mêmes, étaient dépourvus de leurs tics réguliers. Geruld et ses trépidations d’excitation quand il exposait un cas … Magla et son habitude à se gratter régulièrement le sommet du crâne. Azir et son obsession à lisser sa moustache en plein dialogue. Cade tenta de rester froid et analytique, comme se devait d’être un professionnel, mais il ne pouvait s’empêcher de sentir une rage folle l’envahir.

« Au moins, maintenant, tout est clair. Il n’y a jamais eu de danger pour les nobles de Magnimar. Ces créatures ont mis toute cette farce en place juste pour vider les lieux … pour être surs de n’avoir que moi à gérer. Mes pauvres compagnons … morts et enterrés, sans que je m’en rende compte …»

Un long silence pesant s’abattit sur la pièce, jusqu’à ce que Bodrick trouve le courage de prendre la parole : « E-Et maintenant, monsieur ? Que faisons-nous ?»
Cade poussa un soupir résigné : « Maintenant ? Maintenant, c’est vous qui êtes en charge de l’organisation, Bodrick. Vous rappellerez nos agents un par un, et vous les soumettrez à tous les tests nécessaires pour voir s’ils n’ont pas été remplacés. Si vous avez le moindre soupçon, le moindre doute … vous savez ce qu’il faudra faire, n’est-ce pas ? »
Bodrick opina lentement, le regard déterminé, à la surprise de Cade. Il aurait cru entendre des plaintes ou un refus.
Le jeune homme réajusta ses lunettes avant de demander : « Et vous, monsieur ? Je comprends que vous allez mettre de la distance avec l’organisation pour son propre bien pendant quelques temps, mais qu’allez-vous faire ?
-Contre-attaquer, Bodrick. Cela fait trop longtemps que je n’ai pas été sur le terrain. Je suis devenu trop confiant, et notre organisation en a payé le prix aujourd’hui. »

Les deux hommes restèrent un moment sans rien dire, tous deux perdus dans leurs pensées. Puis Bodrick fit un pas en avant, tendant la main vers Cade : « Monsieur, ce fut un honneur de travailler avec vous. J’espère que vous nous reviendrez vite. Vous pouvez compter sur moi en attendant. »
Cade esquissa un sourire. « Voyez-vous ça » se dit-il « Il ne bégaie plus … »
Il empoigna la main tendu de Bodrick, la secouant avec détermination. Les deux hommes échangèrent un regard qui dura un long moment. Il n’y avait plus besoin de mots. Puis Cade relâcha sa poignée, et sortit à pas lents de la pièce.

Alors qu’il remontait les couloirs, il se jura de venger ses lieutenants. La dernière fois qu’il avait combattu des traqueurs sans visage, c’était lorsque lui et ses camarades avaient défiés le seigneur des runes de l’avarice, Karzoug. Les créatures métamorphes lui avaient servi d’espions et d’assassins sur l’ensemble de la Varisie.
Il était évident pour lui qu’un nouveau seigneur des runes était de retour, et qu’il cherchait à se débarrasser de ceux qui avaient réussi à en tuer un par le passé. Il fallait qu’il aille voir Maerlin le plus vite possible. Après, il serait toujours temps d’essayer de localiser Pinkus et ses mercenaires. Mais Maerlin était le plus proche pour le moment, et le seul parmi eux trois à avoir eu le distinct honneur de participer à la mise à mort de deux seigneurs des runes. Du point de vue de Cade, ça lui peignait une plus grosse cible sur le front qu’à lui et Pinkus.

Quand Cade arriva dans l’entrée du bâtiment, il fut accueilli par un Druûl confus, sa gueule maculée de sang. A quelques mètres de là, le cadavre d’un traqueur sans-visage portant les atours de Berem était étendu au sol, portant de larges traces de morsure. Il caressa tristement le museau du renard géant :
« Je sais, Druûl, je sais … »
Il jeta alors un œil à la gamelle pleine qui trainait dans un coin : « Tu n’as pas mangé de ça, j’espère ? »
Un couinement triste de Druûl, suivit d’une lèche sur sa main finit de le rassurer.
« Brave garçon … »

Puis, sans mot dire, il enfourcha Druûl, et bientôt, il se retrouva à filer dans les égouts de Magnimar, en direction de la loge des éclaireurs, une rage sourde bouillonnant dans son cœur. Quel que soit le seigneur des runes qui avait fait tuer ses camarades, il payerait. Au centuple.
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Re: Prélude au désastre ...

Message par MMJ »

III – Jyraël

Le soleil commençait à se lever doucement le long de la côte oubliée, dardant timidement ses premiers rayons en direction du petit village de Pointesable. Lentement, mais surement, la nuit laissait gentiment place au jour, la lumière solaire dispersant le noir brouillard nocturne.

Naffer Vosk ne put s’empêcher de sourire, alors qu’il admirait la chose. C’était définitivement un spectacle dont il ne se lasserait jamais, peu importe combien de fois il en serait témoin. Il resta là un instant, appréciant ce petit moment d’éternité fugace, ou tout semble parfait en toute chose. Puis, avec un grognement satisfait, le prêtre bossu se remit en route, continuant de remonter la rivière Turandarok, les mains jointes, marmonnant des prières à Sarenrae, sa déesse tutélaire.

Les fidèles de la fleur de l’aube appelait ce rituel « la marche de l’aube » - se lever une petite heure avant l’apparition du soleil, puis accompagner son arrivé d’une marche faite de méditation et de prières. Incidemment, c’était une tradition pour la majorité des prêtres de son église, et un bon moyen de réaffirmer leur connexion avec la déesse solaire et de se voir attribuer leurs miracles quotidiens, notamment la capacité de lancer des sorts.

Depuis qu’il vivait à Pointesable, il n’avait jamais manqué une seule fois de participer à ce rituel, y compris lors des événements les plus critiques de l’histoire du petit village portuaire. Cela l’avait aidé à tenir lors de ces jours difficiles, à se rappeler que, quelles que soient les ténèbres qui viennent obscurcir votre communauté, le soleil finit toujours par revenir.

De fait, il devait son salut à Sarenrae, lui qui n’avait été autrefois qu’un misérable petit contrebandier, un félon écoulant des marchandises dangereuses ou interdites, sans réaliser le mal qu’il causait indirectement en fournissant à des êtres mal intentionnés de quoi réaliser leurs plans.

Le destin (ou peut-être était-ce le karma) lui avait asséné une solide punition : alors qu’il naviguait au large de Pointesable, par une nuit d’un noir d’encre, sa coque de noix fut prise dans une violente tempête, et il finit par s’échouer le long de la plage du petit village. Il n’oublierait jamais la terreur ressentie alors que son embarcation se fracassait en morceaux sur les rochers et qu’il était projeté sur les galets, endommageant brutalement sa colonne vertébrale.

Grièvement blessé, aux portes de la mort, il n’avait dû son salut qu’à l’intervention du prêtre local, un serviteur de Desna, Ezakien Tobyn. Ce dernier pris soins de lui, et l’installa dans une petite dépendance de son église, le temps qu’il guérisse. L’accident avait toutefois tellement endommagé son dos, vrillant sa colonne vertébrale, qu’il en devint bossu.
Durant sa convalescence, il eut l’occasion de rencontrer un prêtre de Sarenrae de passage au village, un ami de Tobyn.

Cela marqua le tournant de son existence. Il se souvenait de la honte qu’il avait ressentie pour ses actions passées, réalisant que cette vie d’indigence n’était rien d’autre qu’une pente descendante qui le ferait glisser à toute vitesse dans les tréfonds des abysses. Il se confessa à ce prêtre itinérant, ne cachant rien de ses crimes.
Bien sûr, il avait ensuite dû expier ses fautes par une longue peine de prison, mais les visites régulières de son sauveur lui avaient permis d’avoir quelque chose à quoi se raccrocher. Et quand il fut enfin libéré, sa première action fut de se rendre au temple de Sarenrae le plus proche, à Magnimar, offrant humblement ses services à la déesse.

Naffer arrêta sa marche un instant, émettant un petit gloussement. Avec le recul, il pensait se faire éconduire poliment, à l’époque. Après tout, qui aurait voulu d’un ancien contrebandier, bossu et si petit qu’on le prenait parfois pour un halfelin ou un gnome ?
Et pourtant, le culte de la fleur de l’aube l’avait accueilli à bras ouverts, et il y avait trouvé ce qu’il avait cherché toute sa vie. Une communauté aimante qui le jugerait pour ses actes plutôt que son physique. Il effectua donc ses études théologiques à Magnimar, la citée des monuments. Il n’oublierait jamais le jour où la déesse se manifesta à lui, lui donnant l’aptitude de faire usage de ses bienfaits. Une fois ses études finis, et son statut de prêtre confirmé, il choisit de revenir à Pointesable.

Le père Tobyn lui confia alors le poste de fossoyeur de l’église, et il s’en acquitta avec diligence. Sa relation avec Tobyn était parfois compliqué, cependant, le vieux prêtre étant souvent borné et inflexible. Les choses se compliquèrent encore plus quand son ami adopta une petite orpheline aasimar, Nualia.

Naffer arrêta sa marche un instant, poussant un long soupir. Si l’ensemble de Pointesable était en partie responsable des tragédies qui avaient entourées Nualia, il estimait être plus responsable que les autres. S’il avait compris ce qui se passait réellement, à l’époque, peut-être que les choses auraient été bien différentes …
Il soupira à nouveau. Inutile de remuer le passé, se dit-il. Ce qui était fait, était fait. Il prierait pour Nualia et le salut de son âme une fois revenu à la cathédrale. Une partie de lui espérait qu’elle vive encore, quelque part, en ayant trouvé la paix. Car à chaque fois qu’il y repensait, il se disait toujours que les « héros de Pointesable » s’étaient montrés très évasifs sur le destin de la jeune aasimar. C’était surement un rêve idiot, mais il aimait à s’imaginer que c’était du domaine du possible.

Il entendit alors les fourrés derrière lui remuer et une voix douce et calme l’interpella : « Oh, monsieur Vosk ! Bonjour ! »

Il se retourna, offrant un large sourire à Hannah Vellerin, alors qu’elle émergeait des buissons. Comme son habitude, l’elfe à l’allure joyeuse portait son long tablier de cuir élimé, ainsi qu’une large besace sur le côté. Ses mains étaient tâchées de terre et de déchets végétaux.

Naffer salua la prêtresse de Gozreh d’un hochement de tête, avant de regarder sa besace bien remplie : « Ah, je vois que votre récolte matinale a été bonne ! »
L’elfe eu un petit rire des plus doux : « Grâce en soit rendu au seigneur du vent et des vagues ! Sa générosité a été exemplaire aujourd’hui. Je devrais être tranquille pour le reste de la semaine !»

En plus d’être une prêtresse de Gozreh, Hannah officiait en tant que sage-femme du village et tenait une boutique d’herboriste. Ses décoctions permettaient aux habitants du coin d’avoir des médicaments et autres toniques de soins à des prix abordables. C’était aussi un secret de polichinelle qu’elle vendait différentes concoctions pour permettre aux jeunes filles de stopper une grossesse non désirée.

Ils se mirent alors à marcher tous les deux, devisant à propos des troubles récents qui accablaient Pointesable :
« Hannah, mon amie, est-ce vrai que vous avez eu des menaces déposées à la porte de votre échoppe récemment ? »
L’elfe aux traits juvéniles se contenta de hausser les épaules : « Oh, rien de bien méchant … ce n’est pas une poignée de lapins et d’oiseaux morts cloués sur ma porte qui vont me faire peur ! A vrai dire, une fois bien nettoyés et dépecés, ils sont délicieux, grillés ou mangés en ragoût ! »
Naffer ne put s’empêcher de rire.
« Tout de même, Hannah, vous devriez en parler au prévôt Hemlock … »
Elle secoua la tête : « Oh, nul besoin … mais si les choses empirent, oui, je ferais appel à lui. »

Naffer opina de la tête, rassuré. Il se doutait bien des causes de ce comportement ignoble envers son amie. Surement la colère d'un quelconque Donjuan en herbe, fou de rage que Hannah ait aidé sa compagne à éviter de tomber enceinte. Certaines familles de Pointesable, les méprisables Scarnetti en tête, étaient terriblement conservatrices à ce sujet. Hannah ajouta ensuite :
« Qui plus est, je pense qu’il a les mains pleines en ce moment … On murmure que des attaques de gobelins ont eu lieu dans les fermes alentours ces dernières semaines.
Oh, ces fichus gobelins … mais quand comprendront-ils enfin ?! »

Naffer n’arrivait pas à y croire – combien de fois les gobelins de la région avaient-ils été un soucis pour Pointesable, ces dix dernières années ? Le pire était qu’à chaque fois, ils avaient étés mis en déroute. Et pourtant, bienheureux idiots qu’ils étaient, ces furieux petits bonhommes à grosse tête revenaient toujours à la charge.
Hannah pouffa de rire à la réaction de son confrère, avant d’ajouter d’un ton plus sérieux : « Il faut bien avouer que maintenant que dame Shalelu n’est plus là, c’est devenu plus difficile de prévoir leurs actions dans la région. »
Naffer acquiesça. Shalelu Andosana, avait été une bénédiction pour la côte oubliée. La rôdeuse elfe avait mis en déroute plus d’un plan d’invasion gobelin, mais elle avait quitté la région il y avait environ 7 ans, en compagnie d’Ameiko Kaijutsu et de ses amis.

« J’imagine qu’elle a fort à faire au service de son impératrice dans les lointaines terres du Minkaï, de nos jours … »

Trois ans après le départ de Shalelu, ils avaient reçu la visite d’une jeune femme tieffeline, apportant une missive officielle ainsi qu’un coffre remplie de trésors destinés aux dirigeants de Pointesable. Seuls les dieux pouvaient savoir comment, mais apparemment, Ameiko était devenu l’impératrice de ce lointain pays. Naffer et Hannah continuèrent de deviser à propos du lointain continent en marchant, alors qu’ils arrivaient à l’entrée du village.

« Saviez-vous, monsieur Vosk, qu’ils ont toute une tradition particulière vis-à-vis de l’herboristerie là-bas ? On raconte qu’ils font des thés spéciaux, dotés de propriétés miraculeuses ! »

Naffer sourit. Il appréciait l’enthousiasme juvénile de Hannah, quand bien même elle avait surement trois ou quatre fois son âge.
«Oh, vraiment ?
-Oh oui, j’ai longuement discutée avec dame Ochiyo à ce sujet l’autre jour ! »

Ochiyo était l’émissaire qui leur était venue du Minkaï. Une tieffeline dotée d’une haute éducation, au demeurant agréable, mais dotée d’un appétit d’ogresse qui contrastait grandement avec son apparence fine et délicate. Après avoir délivrée sa missive, elle avait choisie de rester vivre à Pointesable, désignant le « Dragon Rouillé », l’auberge autrefois possédée par Ameiko, comme étant l’ambassade officielle du Minkaï en Varisie.
Dans les faits, cela signifiait simplement qu’elle vivait là, effectuant de nombreux et menus travaux en ville pour financer ses copieux repas. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle semblait être une combattante de premier ordre, en dépit de sa frêle apparence. De plus, ses connaissances ainsi que ses talents de calligraphe lui avaient valu de travailler plusieurs fois pour les érudits de la ville.

« En parlant d’elle, peut-être que notre bon prévôt devrait faire appel à ses services pour régler ses problèmes de go… »

Naffer s’interrompit en pleine phrase, alors que la luminosité autour d’eux augmentait brusquement. Il releva la tête, plissant les yeux, alors que l’astre solaire sembler briller de mille feux.
« Mais qu’est que … »
Commença-t-il à dire, alors que le soleil semblait grossir, encore et encore, avant de subitement se contracter, relâchant sous ses yeux médusés un large rayon de pure lumière qui fusa à toute vitesse en direction du village.
Un bref coup d’œil à Hannah et à son aspect atterrée lui fit comprendre qu’il n’était pas en train de rêver. Il reporta alors son attention sur le rayon solaire, juste à temps pour le voir frapper en plein milieu du cimetière dans un bruit assourdissant, suffisamment pour réveiller le village tout entier.

L’impact fut tellement violent qu’il en sentit la terre sous ses pieds trembler quelques secondes. Après avoir projeté cette lance de pure lumière, l’astre solaire se mit à décroitre rapidement en luminosité, avant de revenir à son état initial. Naffer resta ébahi un moment, ne sachant que dire. Puis il reprit son emprise sur la réalité, se tournant lentement vers son amie : « Hannah ? Pourriez-vous me rendre un service ? »
L’elfe acquiesça lentement.
« Si vous pouviez aller chercher le père Zantus et ses acolytes à la cathédrale, et leur dire de me rejoindre au cimetière, je vous en serais reconnaissant.
-V-Vous voulez allez là-bas tout seul ? M-Mais … »
Naffer posa doucement sa main sur l’avant-bras de son amie.
« Ne vous en faites pas, je ferais attention. Allez-y, maintenant, d’accord ? »
Hannah lui jeta un regard plein d’appréhension, avant de finalement partir en courant à petites foulées en direction de la cathédrale. Quant à lui, il se dirigea vers le cimetière, dégainant la dague passée à son côté. Il n’avait guère mieux pour se défendre : son cimeterre, symbole de sa foi, était dans sa demeure.

Il commença à avancer d’un pas mesuré, ses yeux balayant les pierres tombales et autres caveaux autour de lui. Visiblement, le rayon solaire n’avait pas labouré la terre ou détruit les bâtiments et sépultures alentours. C’était déjà une sorte de soulagement. Il perçu alors un éclat lumineux vers le milieu du cimetière, comme si le rayon avait marqué une zone de son empreinte.

Marmonnant une courte prière pour se donner du courage, il avança un peu plus, avant de réaliser ou avait frappé le rayon … le caveau de Saint-Jyraël. La tombe d’un des quatre « héros de Pointesable », tombé face au terrible Karzoug, seigneur des runes de l’avarice, il y a dix ans.
Le maléfique lanceur de sorts avait usé de sa puissante magie pour désintégrer le vaillant héros, et ses cendres avaient été placées ici même, dans ce caveau, à la demande de ses camarades Pinkus, Cade et Maerlin.

Une fois l’an, les anciens héros revenaient à Pointesable, pour tenir une veillée autour de la tombe de leur camarade. Naffer réaffirma sa prise sur sa dague. Lui vivant, il ne permettrait à personne de ternir ni la mémoire de Jyraël, ni ses restes mortels. C’est donc d’un pas décidé qu’il marcha vers le caveau.

Ce dernier était à présent nimbé de flammes, et ses portes étaient grande ouverte. Naffer s’arrêta un instant, confus. Si une vaste chape de flammes englobait le bâtiment, pour autant, ce dernier ne brulait pas : le marbre était toujours d’un blanc éclatant, les fleurs dans les vases situés de part et d’autre de l’entrée intactes et les nombreux petits charmes et autres plaques commémoratives en bois disposées tout autour du caveau ne crépitaient pas. Il n’y avait même pas d’odeur de brûlé dans l’air.
D’une main tremblante, il retira une des plaques de bois des flammes. Naffer la retourna dans sa main, faisant courir ses doigts dessus, son inscription claire et lisible.

A la mémoire d’un grand héros, qui m’a permis de trouver ma voie – Fargrim.

La plaque n’était même pas chaude. Il la reposa délicatement dans le brasier, sentant tout au plus une douce chaleur sur sa main. Et si cela était …

Il interrompit sa réflexion lorsqu’il sentit du mouvement à l’intérieur du caveau. Il recula d’un pas, jetant un œil derrière lui. Au loin, il pouvait voir arriver en courant Hannah, le père Zantus et ses quatre acolytes. Bien, il aurait au moins du soutient si les choses tournaient mal.

« Qui est là ? Montrez-vous ! »

La voix de Naffer était moins assurée qu’il l’aurait voulu. Les mouvements cessèrent à l’intérieur du caveau, alors qu’un écho résonna depuis l’intérieur : « Naffer ? Naffer Vosk ? »
Une pause, puis : « Alors … je suis à Pointesable ? Mais … ou sont les autres ? »
C’est alors que l’impossible se produisit sous les yeux ébahie de Naffer : alors que les flammes autour du caveau diminuaient doucement, s’éteignant petit à petit, il vit Jyraël émergé au dehors.

Ce dernier semblait aussi perturbé que lui, balayant l’endroit du regard.
« Nous sommes dans le cimetière ? Mais qu’est que je fais là ? Ou sont mes camarades ? »
Puis, soudain, il eut un tressaillement.
« Karzoug ! L’avons-nous vaincu ? Je … J’étais en train de le combattre, il m’a … lancé un sort … »
Jyraël laissa traîner son regard dans le vide un moment.
« Il m’a lancé un sort, et après… je ne me souviens plus de rien … »

Il releva les yeux vers la petite assemblée qui s’était à présent formé autour de lui. Naffer Vosk, le fossoyeur, et le père Zantus, prêtre de Desna étaient là. Les autres prêtres de la cathédrale également – Chelger, Lovus, Walda et Yannah. Et enfin, il y avait … l’elfe …
Il creusa sa mémoire un moment. Hannah … quelque chose. La sage-femme du village. Elle évitait son regard, rouge comme une tomate. Walda et Yannah aussi, d’ailleurs.

« Euh … quelque chose ne vas pas ? »

Naffer toussota, l’air gêné.
« Maitre Jyraël …
-Oui ?
-Vous êtes nu comme un vers … »

Le sourire de Jyraël se figea un instant, alors qu’il baissait les yeux, constatant la terrible vérité.
« Je … »
Il baissa à nouveau les yeux, avant de relever la tête, visiblement très gêné.
« Je vais retourner dans ce caveau un moment, si ça ne vous dérange pas. Loin de moi l’idée de manquer de respect aux morts, mais … »
Le père Zantus dit alors d’un ton qui se forçait à être léger : « Faites, faites … c’est le vôtre, après tout … Je vous amène de quoi vous couvrir de suite … »
Jyraël se figea un moment, avant d’exploser : « Comment ça, c’est mon caveau !!! »

***
Une petite heure plus tard, à présent correctement vêtu et mis au fait de sa mort et des années qui s’étaient écoulées depuis, Jyraël était à l’intérieur de la cathédrale, entouré de tous les notables de la ville.
Le père Zantus le couvrit d’un regard plein de compassion : « Mon pauvre ami … la situation doit vous sembler bien incroyable … nous revenir ainsi après dix ans … »
Le prévôt de la ville, Belor Hemlock, ajouta : « Vous ne vous souvenez vraiment de rien ? »
Jyraël secoua lentement la tête : « Non … Mes derniers souvenirs datent du combat contre Karzoug dans l’œil de l’avarice, son demi-plan personnel … mais … si je suis sûr d’une chose, c’est que Sarenrae ne m’a pas fait revenir pour rien. »

L’assemblée autour acquiesça. Ce genre de miracles n’arrivait pas sans raisons.
Naffer Vosk lui demanda alors ce qu’il comptait faire. Le jeune homme eu un soupir : « Hé bien … retrouver mes compagnons, je pense. Ils vont bien, j’espère ? »
Le père Zantus s’empressa de le rassurer : « Oui, oui, aux dernières nouvelles. Cependant, nous serions bien en peine de vous dire où se trouvent Cade et Pinkus, au moment présent. Ceci dit, vous trouverez Maerlin sans peine – il a rejoint les éclaireurs et est devenu capitaine-aventurier de la loge de Magnimar. »

Un mince sourire se dessina sur le visage du jeune homme : « Capitaine-aventurier ? Rien que ça ? Eh bien il n’a pas perdu de temps … »
Le père Zantus ajouta alors : « Autre chose … Après votre, euh … votre décès … votre église a décidée de vous canoniser et, de fait, votre ancien équipement a reçu le statut de relique saintes et a été entreposé dans cette cathédrale, mais … hé bien … j’estime que ce n’est que légitime que de vous rendre vos anciennes possessions. »
Jyraël toussota légèrement : « Si seulement mes cendres avaient étés placés à proximité de mon ancienne armure, cela m’aurait évité un désagrément ou deux, oui … »
Le père Zantus toussota à son tour : « Euh, oui … disons que … personne ne s’attendait à ce que vous nous fassiez un retour aussi spectaculaire, ahem … En tous les cas, souhaitez-vous que quelqu’un envoie une missive à votre camarade Maerlin ?
-Non, non … Je ferais route ver Magnimar dès demain. Je lui rendrais visite directement, et j’en profiterais pour aller au temple de Sarenrae. Surement, leur grand prêtre pourra m’aider à comprendre pourquoi la déesse m’a ramené. »

Jyraël resta alors silencieux un instant. Dix ans … dix ans à rattraper. Ses camarades le reconnaitraient-ils seulement ? En tous les cas, il sentait au fond de lui que ce retour était lié à leurs aventure passées. Après tout, elles étaient la plus grande tâche qu’il ait jamais effectuée pour sa déesse.
Oui, il partirait pour Magnimar demain, et il découvrirait sa destinée, quelle qu’elle soit. La déesse lui montrerait le chemin à suivre, comme elle l’avait toujours fait.
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IV – MAERLIN

Le clapotis des vagues. Le brouhaha ambiant. Les allées et venues constantes, et surtout, cette frénésie d’activité folle. Oui, comme tous les matins, les quais de Magnimar débordaient d’activité. Une foule de gens allaient et venaient aux alentours : les dockers déchargeant (ou remplissant) les navires. Les pêcheurs ramenant les poissons à quais. Les prêtres de Gozreh dispensant bénédictions et prières pour une mer calme et un vent clément contre quelques pièces d’or …

Maerlin pris une profonde inspiration. En dépit des fortes clameurs et des cris alentours, le spectacle des quais au petit matin lui avait toujours apporté bonne humeur et énergie. Lorsqu’il n’était encore qu’un jeune orphelin, il aimait déjà venir ici, s’imaginant partir sur quelque navire, voguant vers des lieux mystérieux, remplis d’aventures et de trésors qui le rendraient célèbre. Un rêve que beaucoup auraient qualifiés de surréaliste ou stupide, et pourtant … Maintenant qu’il était adulte et capitaine-aventurier de la loge des éclaireurs de Magnimar, cette vie était devenue une réalité.
Il avait exploré quantité de lieux oubliés. Antiques caveaux remplis de terribles morts-vivants, ruines anciennes servant de tanière à des bêtes sauvages, repaires de mages paranoïaques remplis de pièges mortels …

Des combats épiques, de formidables trésors et, surtout, la découverte d’une histoire ancienne et presque oubliée … Voilà à quoi ressemblait son quotidien depuis plus de dix ans maintenant. Pour lui qui s’extasiait sur l’histoire des grands seigneurs des runes du Thassilon quand il était petit, c’était presque un rêve éveillé de se dire qu’il avait eu l’occasion d’en rencontrer deux.
Bien sûr, la réalité était souvent bien fade et amère, comparée aux légendes. Oui, Karzoug et Krune avaient été de formidables mages, parmi les plus puissants de leur temps, mais ils avaient aussi été de cruels tyrans, oppressant, tuant et pillant sans sourciller, souvent pour des raisons puériles. Il eut un petit rire pour lui-même : la rumeur prétendait que la plupart des éclaireurs vétérans perdaient souvent leur soif de découverte et d’aventure avec le temps. Il voyait d’où cela pouvait venir. Mais dans son cas, c’était presque l’inverse. Il aurait voulu repartir en expédition, mais son travail à la loge l’en empêchait.

Il avisa alors un groupe de jeunes gens sur le rebord d’un quai. Un grand Shoanti balafré, un massif briseterre attaché dans son dos, torse nu. Une jeune fille portant une robe d’érudite et un chapeau à large bord, un grimoire sous le bras. Une gnome excitée, aux cheveux d’un bleu azur, parlant à ses camarades en faisant de grands mouvements avec ses bras, une rapière au côté et un luth en bandoulière dans son dos. Et enfin un demi-orc à la barbe fourni, engoncé dans une cuirasse compacte, une masse d’arme attachée sur le rebord de son sac à dos, le symbole sacré d’Abadar bien en vue sur son plastron.

Ils étaient engagés dans une grande conversation vis-à-vis de leurs finances, des frais de voyage qui les attendaient et du fait qu’il serait peut-être avisé d’acheter quelques potions de soins avant de partir. Un groupe d’aventuriers novices, à n’en pas douter.

Maerlin continua à les observer un moment, un sourire amusé aux lèvres, avant de soupirer. Comme cela lui semblait loin … Partir à l’aventure en tout insouciance, avec seulement une poignée de pièces d’or en poche et juste quelques rations, une corde et une couverture épaisse dans son sac à dos. Aviser des choses sur place, monter un plan bancal, et s’y tenir faute de mieux. S’extasier parce que les monstres vaincus avaient dans leur antre une poignée de gemmes semi-précieuses ou un parchemin de sort mineur. S’interroger sur la fonction du mystérieux objet magique retrouvé au fond d’une ruine croulante. Trouver une carte mystérieuse, promesse de nouvelles aventures …

Il se força à se mettre debout et à partir en direction de la loge des éclaireurs. Sa petite promenade matinale avait trop durée déjà, et il avait au moins six rendez-vous à honorer aujourd’hui, ainsi qu’une lecture sur la magie du pêché du Thassilon en début d’après-midi.
Il y avait aussi cette pile de rapports d’expédition à consulter, un problème juridique à régler – un éclaireur s’étant introduit de façon illégale dans la demeure d’un noble Korvosien pour voler … enfin, consulter, selon ses dire, un texte ancien lié au clergé d’Asmodeus. Sans oublier les demandes de financement pour cette expédition dans les profondeurs de Kaer-Maga et une demande d’expertise sur une dague sensément d’origine Jitskane. Il se retourna une dernière fois vers le groupe d’aventuriers, murmurant pour lui-même :
« Bande de petit chanceux … profitez bien de vos aventures … »

Une vingtaine de minutes plus tard, il arrivait en vue de la loge des éclaireurs. C’était un immense manoir, doté d’un charmant jardin d’ornement doublé d’un zoo accueillant quantité de bêtes aussi exotiques qu’étranges. Alors qu’il entrait dans le hall principal, bourdonnant d’activité, il fut interpellé par Welben Orry, un des réceptionnistes :
« Monsieur ? Votre premier rendez-vous de la journée vous attend dans le petit salon bleu, à l’étage. »
Maerlin hocha la tête. Welben était un des plus anciens employé de la loge, bien que n’étant pas un éclaireur ou un aventurier lui-même. De fait, ce grand humain, aux petites lunettes carrées et au long nez, avec ses cheveux blonds plaqués en arrière sur son crâne, n’avait que peu d’amour pour les aventuriers.
Beaucoup d’agents se plaignaient de ses façons procédurières et de son dédain général. Mais il fallait avouer qu’il était efficace à son poste.
« Merci, Welben. Autre chose ?
-Eh bien, vos agents de terrain sont, pour la plupart, incapable de remplir correctement les fiches rapports et les notes de frais que nous leurs confions, mais rien de nouveau, n’est-ce-pas ? J’imagine que je serais sur mon lit de mort avant que pareille chose n’arrive … J’imagine que remplir ces documents est surement plus difficile pour eux que de survivre à l’assaut de quelque monstre …»
Maerlin eu un soupir intérieur. Il aurait mieux fait de se taire.
« Je leur passerait le mot, Welben …
-Monsieur est trop bon … »
Difficile de dire si le revêche bureaucrate était sincère ou s’il faisait montre d’ironie. Peu importe, il avait son rendez-vous à rencontrer, et un timing serré. Il se mit donc en chemin vers le salon bleu, ainsi nommé pour sa tapisserie aux tons aigue-marine et sa décoration au thème marin, avec ses navires en bouteille, ses tableaux d’îles lointaines et ses bustes de monstres marins.

Il poussa la porte d’un geste assuré, saluant la personne qui se trouvait là :
« Bonjour, et bienvenue dans la loge des éclaireurs de Magnimar. C’est votre première visite ici, je crois, n’est-ce pas ? Enchanté de vous rencontrer, madame Ellulae Vhisky. Je suis Maerlin, le capitaine aventurier de cette loge.»
La créature en face de lui s’abaissa légèrement dans un salut respectueux. Elle était similaire à une femme humaine de la tête jusqu’à la taille, mais le reste de son corps était celui d’un lion. Elle était dotée de longs cheveux noirs de jais, affichait de grandes lunettes rondes, et portait une tenue élaborée qui s’étendait jusqu’à la partie léonine de son corps, ne laissant que ses pattes à découvert. Cette tenue ressemblait à une sorte de robe, et le style vestimentaire rappelait les kimonos portés par les gens du continent du Tian-Xia.

La jeune femme força un sourire, même si elle semblait quelque peu gênée : « Merci pour votre accueil ! Je tiens cependant à m’excuser, je … je crois que j’ai effrayé quelques-uns de vos employés au rez-de-chaussée … »
Maerlin balaya les excuses de son interlocutrice de la main :
« Nul besoin. C’est moi qui vous ait invité ici, et seul les idiots craignent ce qui est différent d’eux.»
En tant que tieffelin, Maerlin avait eu son lot de persécution, et il n’était pas prêt d’autoriser ce genre de comportement injurieux dans sa loge. Ellulae lui offrit un sourire rassuré :
« Merci beaucoup, maître Maerlin. Mais, je peux les comprendre. Les lamis comme moi ne sont pas vraiment courantes dans les grandes villes comme Magnimar. Enfin, celles qui affichent leur forme véritable comme moi en tous les cas … »
Maerlin acquiesça : « Oui, certes … Si mes souvenirs sont bons, votre dossier mentionne que vous ne disposez pas de la capacité de changer de forme comme vos consœurs ? »
Ellulae baissa les yeux : « Oui … un défaut de naissance. C’est rare, mais cela arrive … »
Maerlin se confondit rapidement en excuses : « Pardonnez-moi si j’ai réveillé des souvenirs douloureux …
-Oh, non, non … je vous en prie ! Euh, quoiqu’il en soit, je sais que ce n’est pas le but premier de ma venue ici, mais … »
Elle sorti un épais tome de la sacoche passée sur son côté.
« Je me permets de vous remettre la première impression de mes chroniques sur les onis … je crois savoir que cet ouvrage ne vous est pas encore parvenu ? »
Maerlin lui adressa un franc sourire : « En effet ! Vous venez de nous faire gagner un temps précieux ! Et félicitations, il me semble que c’est votre seconde chronique, n’est-ce pas ? La première était dédiée au peuple des cyclopes, si je ne m’abuse ?
-Tout à fait ! Oh, et … j’ai aussi ceci pour vous … à remettre en mains propres … »

Elle lui tendit alors une enveloppe épaisse, frappé d’un sceau complexe. Ellulae ajouta alors : « L’impératrice du Minkaï, dame Ameiko Kaijutsu vous adresse ses salutations. »
Maerlin pris la missive avec délicatesse, clairement surpris.
« Ameiko … grand dieux, cela fait tellement longtemps … Son règne se passe bien ? »
Ellulae opina de la tête : « Elle bénéficie de l’aide de gens très compétents … et le peuple l’aime. Il faut dire que le précèdent dirigeant de l’empire était … disons …
-un tyran impitoyable, si j’en crois les rapports de nos agents de la loge de la lanterne, à Gokka. Oui, je gage que Ameiko n’aura pas de mal à faire mieux.»

Ils échangèrent ensuite quelques politesses, et Maerlin s’enquit plus en détails de la santé de son amie. Ellulae le rassura, tout en avouant qu’il faudrait sans doute encore bien des années avant que l’empire du Minkaï ne puisse à nouveau se réclamer d’un âge d’or.
Puis il en vint au sujet principal de leur rencontre :
« En tous les cas, Ellulae, si je vous ai demandé de venir de l’autre bout du monde jusqu’à Magnimar, c’est pour une raison très spécifique. Vous vous êtes familiarisée avec l’histoire du Thassilon et la résurgence de Karzoug il y a dix ans ?
-Oui, bien sûr. Sans compter que, euh … disons que … mon mari a vécu un certain temps à Pointesable, alors je connaissais déjà en parti votre histoire … »
Maerlin eu un sourire amusé : « Ah, oui … les fameux « héros de Pointesable », hein ? Pour dire vrai à l’époque, nous savions à peine à quoi nous nous frottions … »
Elle prit alors un air conspirateur : « C’est vrai ce que l’on raconte ? Vous avez vraiment combattu un dragon à vous seul ? »
Maerlin afficha alors un air gêné. Si sa peau n’était pas déjà rouge vif, il en aurait rougit.
«Euh, oui … mais, vous savez … les gens en font toute une montagne … C’était un dragon adolescent, qui plus est, loin d’avoir la puissance d’un adulte … Et ce jour-là, mes compagnons se sont illustrés aussi, combattant nombre de géants de pierre et d’ours sanguinaires !»

Cela le perturberait toujours. Il avait participé à la défaite de deux seigneurs des runes, et pourtant, c’était cette histoire que la plupart des gens retenaient à propos de lui. Surement que pour les gens du commun, cette anecdote était la plus parlante – les gens normaux n’étaient pas forcément assez éduqués pour savoir ce qu’étaient les seigneurs des runes, après tout. Il s’éclaircit la gorge :
« Quoi qu’il en soit … Après la mort de Karzoug, sa capitale, Xin-Shalast, est tombé dans une sorte de guerre civile entre les différentes factions qui y résidaient. Seulement, depuis quelques années les choses ont pris une tournure très différente. Il semblerait que les lamis aient pris le contrôle de la ville, ou du moins, soient parvenus à un accord pour vivre en cohésion avec les géants locaux. Et elles n’apprécient pas que des groupes d’aventuriers viennent piller ce qu’elles considèrent être leur citée. Le conseil des éclaireurs, à Absalom, n’a aucune envie de se mettre à dos ce qui ressemble de plus en plus à une nation émergeante. C’est pourquoi nous avons décidé d’envoyer une délégation diplomatique pour nouer des liens avec eux. Vous comprendrez donc qu’avoir une diplomate lamie comme vous faciliterait les premiers contacts. »
Ellulae digéra ces informations avant d’acquiescer : « Je vois … Eh bien, pourquoi pas … J’ai déjà eu une expérience de première main, en quelque sorte. Mon époux est le grand diplomate de l’impératrice Ameiko, alors … Si je peux aider, d’accord.»

Maerlin eu un sourire soulagé : « Formidable ! Merci beaucoup, vous m’ôtez une belle épine du pied ! Bien entendu, vous serez payé pour vos services, aussi bien en or qu’en ressources diverses. Je crois savoir que vous aimeriez consulter un certain nombre de nos tomes les plus précieux … »

Il échangea avec l’éclaireuse lamie quelques minutes supplémentaires avant de prendre congé, l’orientant vers ses assistants pour s’aménager des quartiers au sein du manoir. Puis il décida d’aller porter ses chroniques sur les onis dans ses quartiers. Il voulait avoir la primeur de cette lecture.
Il posa délicatement l’épais volume sur son bureau, résistant à l’envie d’en commencer la lecture immédiatement. Si le contenu était aussi intéressant que ce qu’il supposait, Ellulae mériterait bien une promotion au sein des éclaireurs …
Alors qu’il était perdu dans ses pensées, il perçut les murmures d’une voix étouffée.

« … Maerlin … »

La voix désincarnée ne fut guère plus qu’un souffle résonnant dans son bureau. Il fronça les sourcils, avant de claquer des doigts. Courtoisie de son sort de Prévoyance lancé au réveil, son corps se couvrit d’une épaisse couche de pierre, faisant office de seconde peau.
« Qui est là ? »
Pas de réponses. Il se dépêcha alors de sortir un petit baume de sa sacoche à composante, étalant la pâte jaune sous ses yeux, avant de lancer un sort de Vision lucide, alors que la voix désincarnée résonnait à nouveau :

« … Oh, Maerlin … »

Elle lui semblait vaguement familière. C’est alors qu’il la reconnu et fut pris de frissons.

« … Maerlin … jamais tu ne me contacte, jamais tu ne m’envoie de message … comment suis-je censée le prendre ? »

Il balaya la pièce du regard, avant de sursauter alors qu’un portail s’ouvrait subitement dans la pièce. Emergeant de ce dernier, une silhouette féminine élancée l’invectiva brusquement :
« Tu devrais avoir honte ! Un jour, tu vas me faire mourir de chagrin ! »

Alors que le portail se refermait derrière elle, Maerlin détailla la succube qui venait d’arriver dans la pièce, passant sa main sur son visage.
« Mère … qu’est-ce que vous faite ici ? Et … Et les sceaux de protections gravés dans les murs de cette pièces auraient dû vous empêcher d’ouvrir un portail planaire ici … »
La succube afficha un air blessé : « Oh, espèce de monstre … c’est comme ça que tu t’adresses à ta pauvre maman ? Même pas un mot agréable, tu me donne du « mère » et … et … tu à honte de moi, c’est ça ? Oh, mon pauvre cœur … »
Elle se laissa chuter dans un des fauteuils rembourrés de la pièce, prenant un air éploré.
« Un monstre … mon fils est un monstre …oh, pauvre de moi …
-Mère ! Je … »
Il avisa la succube, le visage entre ses mains, des larmes roulant le long de ses joues. Il poussa un long soupir de lassitude. Il aller devoir jouer le jeu s’il voulait que les choses soient expédiées rapidement.
Il était surpris, toutefois. Sa mère, la succube Delvahine, l’avait contacté par divers moyens au cours de ces dernières années : messages, missives, songes … mais c’était la première fois qu’elle se déplaçait en personne. C’était de fait inquiétant qu’elle soit là en personne – sans compter que les sceaux de protections n’avaient rien fait pour l’empêcher de se téléporter dans la pièce. Avait-elle développée ses talents de lanceuse de sorts ?
Ceci étant dit, il fallait reconnaitre que pour un démon, elle avait toujours eu une étrange attirance pour les mortels, s’intéressant à eux et les voyants généralement comme autre chose que des jouets à utiliser avant de les jeter une fois drainés de leur force vitale.

Il mit donc un genoux à terre, prenant maladroitement la succube dans ses bras : « Je suis désolé mè … m … maman … »
Delvahine cessa de pleurer instantanément, lui affichant un large sourire prédateur : « Oh, mon petit Maerlin ! Fais-moi un bisou, veut-tu ? »
Maerlin pris une attitude blasée : « Sans façon …
-Awww … »
Il se releva, cherchant à parler d’un ton qui se voulait léger : « Alors, que me vaut le plaisir mè … maman ? »

Delvahine s’étira dans le fauteuil, à la manière d’un chat, avant de minauder : « Oh, mon grand garçon a tellement de travail maintenant qu’il n’a plus de temps à consacrer à sa pauvre vieille maman ? »
Maerlin tenta de contenir la frustration qui commençait à bouillir en lui. Si sa mère avait un certain attrait pour l’humanité, elle restait une manipulatrice comme toutes les succubes. Il devait écourter la conversation et la forcer à révéler pourquoi elle s’était déplacée en personne.
« De fait, oui, j’ai du travail. Beaucoup de travail.
-Dont la gestion d’une mission diplomatique avec Xin-Shalast, hum ? »
Il se retourna vers elle, légitimement surpris.
« Pourquoi tu t’intéresses à ça ? »
Delvahine lui adressa un sourire carnassier alors qu’elle commençait à jouer avec le manche du fouet enroulé autour de sa taille.
« Tu n’es pas au courant ? Un certain nombre de fidèles de Nocticula a trouvé refuge là-bas. Et je sers le « baiser de minuit » depuis toujours. Alors moi aussi j’ai intérêt à ce que les choses se passent bien … »
Maerlin eu du mal à contenir sa surprise :
« Nocticula ? Alors c’est vrai ce qu’on raconte ? Elle aurait changée ? Ou est-elle passée depuis qu’elle a quitté les abysses ? »
Delvahine le stoppa avec un lent mouvement de négation du doigt.
« Allons, allons … Je sais que mon petit garçon est un grand curieux, mais je ne peux rien dire de plus pour le moment. Qui plus est, ce n’est pas pour ça que je suis venu en premier lieu … »
Elle glissa alors la main dans son corset, en sortant un étui à parchemin, forçant Maerlin à détourner le regard, ce qui sembla l’amuser au plus haut point. D’un ton faussement désintéressé, elle dit alors : « Tu t’intéresses toujours à ces seigneurs des runes, je crois ? Ouvre cet étui à parchemin, tu veux ?»

Maerlin s’exécuta, laissant sa curiosité prendre le dessus. Le parchemin à l’intérieur était une carte. Il fronça les sourcils.
« Et alors ? Cet endroit est inaccessible depuis toujours. Toutes les expéditions envoyés sur place n’ont jamais réussie à percer la barrière arcanique qui est en place pour voir ce qui se trouve de l’autre côté … »
Avant qu’il ne puisse continuer, Delvahine était déjà derrière lui, enserrant lascivement sa taille, chuchotant à son oreille : « Et que dirait tu si ta petite maman chérie savait comment passer cette vilaine, vilaine barrière, hum ? »
Maerlin serra les dents, se figeant droit comme un i : « Hrmm … et alors ? Il y a quoi de l’autre côté ? »
Delvahine eu un petit rire amusé : « Oh, juste un seigneur des runes … un de ces vilains vieillards décrépit qui veut faire du mal à mon petit garçon chérie … qu’est-ce que tu dirais d’en ajouter un troisième à ton tableau de chasse, hum ? »
Maerlin en resta bouche bée. Un seigneur des runes, ici ? Et surtout, qu’est-ce qu’en retirait sa mère comme avantage, à lui donner cette information ?
Alors qu’il réfléchissait, Delvahine lui caressa doucement les cheveux : « Oh, mon petit garçon, tellement excité que ses pensées se bousculent dans sa petite tête … »

Au prix de grands efforts, il se défit de l’étreinte de sa mère, mettant un bon mètre de distance avec elle.
«Admettons … Admettons qu’un seigneur des runes se trouve ici. Pourquoi me donner cette information maintenant ? Qu’est-ce que toi ou Nocticula en retirez ? »
Delvahine pris un air faussement blessé : « Je m’inquiète pour mon petit garçon, c’est tout ! Et si tu ne me crois pas, demande à tes camarades ! »
Maerlin fronça les sourcils.
« Mes camarades ? »
Delvahine afficha à nouveau son sourire carnassier, penchant un instant la tête sur le côté.
« Uh, uh … et que le hasard fait bien les choses, je perçois leur présence dans le hall d’entrée … »
Elle commença à avancer vers la porte de sortie du bureau : « Hé bien ? Tu viens ? Tu ne vas tout de même pas snober tes amis, vilain garçon ?»
Avant même qu’il ne puisse répondre, Delvahine était déjà sortie de la pièce. Il s’élança alors à sa poursuite en grommelant …
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V – LES HEROS DE POINTESABLE

Après sa longue course dans les égouts, Cade était enfin arrivé à destination. Le chemin avait été un peu plus long que prévu, car il avait spécifiquement cherché à trouver une sortie que Druûl pourrait emprunter avec lui. Avec ce qui c’était passé aujourd’hui, il était hors de question qu’il le laisse en arrière.
C’est d’un pas précipité qu’il traversa les jardins du manoir Heidmarch, faisant se tourner de nombreuses têtes alors que Druül gambadait derrière lui. Tout en avançant, il balayait les lieux du regard. Vu la situation, des assassins pouvaient se trouver dans chaque recoin. Bon sang, chaque personne qu’il croisait en avançant pouvait potentiellement être un traqueur sans visage. Et le pire, c’était qu’il en venait presque à l’espérer. Il voulait faire payer ces ordures pour la mort de ses collaborateurs – non, de ses amis. Et les dieux savaient qu’il était préparé. Il avait fait une petite halte en chemin dans l’une de ses nombreuses planques, et il était désormais équipé comme jamais.
Poisons, potions, objets alchimiques, gadgets magiques … il avait même ressorti du placard des objets qu’il n’avait pas utilisé depuis la bataille contre Karzoug.

« Oh oui, je vous en prie, venez … attaquez moi … faites-moi ce plaisir … »

Une fois dans le hall principal du manoir, il avisa la zone d’accueil. Bourré de monde, bien entendu. Il grommela. Au diable la finesse, il ne pouvait pas se permettre de perdre du temps. Il attrapa une chaise adossé contre un mur, puis avança vers un des bureaux. La personne qui s’y trouvait discutait les termes de remplissage de quelque document administratif. Cade lui tapota sur la jambe, forçant l’humain à baisser les yeux : « Quoi ? Je suis occupé, là ! »
Cade serra les dents, la rage bouillonnant dans son regard : « Dégage ! »
Un seul mot, mais chargé de tellement de fureur, d’intention de meurtre et de détermination que l’humain pâlit immédiatement. Il commença à bégayer, cherchant quelque chose à dire, mais le regard soutenu du Cade suffisait déjà à lui rendre les jambes flageolantes. Il abandonna alors toute tentative de sauver sa dignité et s’écarta.
Cade mis alors la chaise en place devant lui, avant de monter dessus pour être à la hauteur de son interlocuteur, un humain grand et maigre, portant des lunettes avec ses cheveux blonds plaqués à l’arrière de son crâne.
Ce dernier le détailla d’un regard noir, une grimace de mépris sur le visage : « Ou vous croyez-vous, monsieur ? Le manoir Heidmarch et la société des éclaireurs ne sont pas un lieu d’accueil pour les brutes dans votre genre ! Si vous croyez que je vais prendre votre requête après pareil comportement, vous pouvez … »
D’un geste vif, Cade agrippa la chemise du gratte-papier, le tractant vers lui, avec une force entretenue par sa seule colère : « Ferme là, et va me chercher Maerlin ! Dis-lui que Cade Videpoche réclame sa présence. Tout de suite ! »

---

Pinkus approcha le manoir Heidmarch d’un pas mesuré, grinçant des dents. Il avait passé ces derniers jours à chevaucher à bride abattu depuis la Montagne Crochue, et il n’avait pas pris le temps de faire des haltes autrement que pour dormir une poignée d’heures, ici et là. Hilda avait fait du bon travail pour panser ses plaies et lui avait même fournit des bandages de rechanges pour le voyage, mais ses côtes brisées lui faisaient toujours un mal de chien. Avec un peu de chance, Maerlin aurait peut-être un parchemin de Régénération à trainer quelque part. Avec tous les trésors fous qu’abritait sa loge, c’était du domaine du possible.

Il laissa son cheval à l’entrée du domaine, dans une zone prévue à cet effet, avant d’avancer le long de l’allée centrale menant à la gigantesque bâtisse. L’endroit ne semblait pas avoir trop changé depuis sa dernière visite : toujours ce flux d’aventuriers et d’érudits en quête de tout et n’importe quoi. Bien entendu, la majorité d’entre eux trouveraient leur fin au fond de quelque ruine antique, grossissant les piles d’ossements de tous ceux se croyant plus malins que le reste et capables de triompher là où le reste avait justement échoué. Mais une poignée d’entre eux s’en sortiraient, et reviendraient chargés de richesses et de savoir ancien, créant de nouvelles vocations et entretenant la boucle. La question, bien entendu, était de savoir s’il était bien intelligent d’exhumer ce savoir d’antan. De son expérience, dans la plupart des cas, brûler ces vestiges du passé aurait été un meilleur choix. Ne serait-ce que pour prévenir le retour d’un certain groupe de magiciens mégalomanes et revanchards …

Alors qu’il entrait dans le grand hall, il perçut des éclats de voix au-dessus du brouhaha générale. Quelle ne fut pas sa surprise de voir un halfelin qu’il connaissait bien menacer un des employés de l’accueil.
L’attitude de son camarade était des plus curieuses. Certes, avec le passage des années, il ne voyait plus Cade et Maerlin qu’une fois ou deux par an, et l’éloignement pouvait changer les gens, mais c’était rare de voir Cade aussi furieux. Il s’avança donc, agrippant l’épaule de son camarade :
« Hey, Cade ! Ce type est tellement grand qu’il t’énerve, c’est ça ? »
Le halfelin se retourna d’un bloc, lâchant la chemise de l’employé sous la surprise : « Pinkus ?
-Le seul et l’unique ! »

Cade fronça les sourcils, un air suspicieux sur son visage.
« Pinkus … tu peux me faire le plaisir de me rappeler combien de frères et sœurs j’ai, ainsi que leur prénom ? »
Pinkus eu l’air confus un instant. Qu’est-ce que tout cela signifiait ? Il fut tenté de protester, mais l’air terriblement sérieux de Cade lui fit comprendre qu’il ne cherchait pas à plaisanter. Il soupira, avant d’énoncer la longue liste des frères et sœur de son ami. Les traits de Cade s’adoucirent alors un peu : « Bien, bien … je suppose que c’est vraiment toi, alors … »
Le robuste guerrier afficha à nouveau un air confus :
« Comment ça, si c’est bien moi ? Bien sûr que c’est moi ! Qu’est-ce que tu …
-Il faut qu’on parle à Maerlin, le plus vite possible ! D’ailleurs … qu’est-ce que tu fais-là ? »

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« Je comprends, mon père … En tous les cas, merci pour m’avoir accordé de votre précieux temps.
-Je vous en prie, mon fils. Il est vrai que votre cas est … atypique, pour le moins … mais sachez que votre intuition est la bonne – la déesse ne vous a pas fait revenir pour rien. Ayez confiance en sa sagesse, elle saura vous montrer la voie. »
Jyraël effectua un salut des plus respectueux au grand prêtre de Sarenrae avant de prendre congé. Alors qu’il sortait du temple, il se sentait déjà l’esprit un peu plus léger.
Sa discussion avec le grand prêtre n’avait fait que confirmer qu’il se devait de retrouver ses camarades d’antan et de parler avec eux. Il se doutait qu’ils seraient surement aussi surpris qu’heureux de le revoir en vie, mais pour autant, il craignait un peu ces retrouvailles.
Dix ans s’étaient écoulés. Ils avaient eu le temps de faire quelque chose de leur vie, de s’établir. Mais lui ? Il n’avait jamais été rien d’autre qu’un prêtre errant, voyageant ici ou là, au petit bonheur de la chance, aidant quand il le pouvait. Est-ce qu’ils auraient seulement quelque chose à se dire ?

Lors de son bref séjour à Pointesable, il avait rencontré Vioran Dekanti, la femme de Pinkus. Une de leur anciennes ennemies, contrôlée par Shelan, l’épée du champion de l’avarice. A l’époque, ils avaient réussi à briser l’emprise de l’arme sur elle, et elle les avait aidés à combattre Karzoug. Il s’en souvenait comme d’une féroce guerrière, engoncée dans une armure de plaque dorée.
Celle qu’il avait rencontrée à Pointesable était bien différente. Une femme portant une ample robe, son ventre gros et rond, celui d’une femme enceinte. Disparu, le regard de la féroce guerrière qui ne vivait que par et pour l’épée, remplacé par celui d’une mère aimante, ses deux enfants collés à ses basques.

Bien sûr, il était heureux que Pinkus ait trouvé quelqu’un avec qui partager sa vie, mais c’était cette rencontre qui lui avait fait comprendre que les amis dont il se rappelait n’étaient rien d’autre que des souvenirs. Des échos du passé. Il soupira, avant de se moraliser lui-même.

« Arrête un peu … Va les voir, parle avec eux, et tu seras fixé. Pas la peine de t’imaginer mille scénarios différents en avance. Oui, ils seront aussi choqués que toi de ton retour, et alors ? Ce sont tes amis. Alors arrête de te comporter comme un lâche et vas les voir ! »

Il se mit donc à marcher d’un pas tranquille et mesuré vers le district d’albâtre, en direction du manoir Heidmarch.

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« Mère ! Arrêtez ! Revenez ici ! »
Maerlin se mit à courir après Delvahine alors qu’elle se mettait à cavaler dans les couloirs de la loge, lui adressant un regard amusé, la langue tirée : « Attrape-moi si tu peux ! »
Maerlin jura en accélérant. Il ne trouvait pas la blague amusante du tout. Si quelqu’un rapportait à la loge centrale d’Absalom qu’on avait vu une succube se promener dans sa loge, il aurait un paquet d’explications à fournir. Un gros, gros paquet d’explications.

Le plus frustrant était que Delvahine jouait clairement avec lui : A chaque fois qu’il était sur le point de la perdre, elle ralentissait pour le laisser reprendre du terrain. C’était terriblement énervant, sans compter que cette course était en train de l’épuiser. Il aurait volontiers mis cela sur le dos du fait qu’il avait un sort de peau de pierre d’actif, que ce dernier l’alourdissait surement, mais il savait déjà la triste vérité : Il avait passé trop de temps derrière un bureau et pas assez sur le terrain ces dernières années.
C’est ainsi que malgré tous ses efforts, Delvahine réussit à fuir jusqu’à déboucher sur le balcon surplombant le hall principal. C’était cuit … il se voyait déjà remplir une pile de documents longs comme le bras pour justifier l’apparition de sa mère ici.
Delvahine continua à courir à petites foulées, regardant en bas, avant de s’arrêter, affichant son large sourire carnassier. Elle s’accouda contre la rambarde, sifflant entre ses doigts : « Mais que vois-je ! Pinkus ! Mon amour, mon beau guerrier, tu m’es enfin revenue ! »

En contrebas, Pinkus releva la tête. Il détailla Delvahine, fronçant les sourcils un bref instant, avant de rougir immédiatement. A côté de lui, Cade commença à murmurer : « Hey, cette fille cornue ne serait pas … »

Delvahine élargie son sourire, s’allongeant contre la rambarde dans une posture lascive, sa queue au bout fourchu se contorsionnant derrière elle pour former un grand cœur. Elle fit alors un petit salut amical de la main au guerrier rouge comme une tomate : « Oh … je vois que tu ne m’as pas oubliée, hum ? En même temps, comment aurait tu pu, mon fier guerrier aux bras puissants … »
Pinkus grommela quelque chose d’inintelligible en baissant les yeux, alors que Cade observait Delvahine d’un air circonspect et terriblement sérieux.
« Qu’est-ce qu’elle fait ici, celle-là … »

Finalement, derrière elle, apparu Maerlin, affichant colère, mais surtout confusion quand il aperçut ses anciens camarades d’aventure dans le grand hall.
« Pinkus ? Cade ? »
Il se retourna vers Delvahine : « Comment a tu su qu’ils seraient là ? »
La succube poussa un soupir sensuel : « L’amour, bien sûr … Je pourrais percevoir l’aura de Pinkus à des lieues … »
Maerlin serra le poing : « Stop, assez ! Je ne suis plus le jeune aventurier naïf que tu as connu il y a dix ans ! Et je ne te laisserai prendre aucun d’entre nous dans les engrenages de tes machinations ! Continue comme ça, et je te renvoie dans les abysses avec une formule de bannissement ! »

Le regard de Delvahine changea alors du tout au tout, devenant plus froid et sérieux, quand bien même sa bouche affichait encore et toujours ce rictus moqueur et aguicheur.
« Ho, tu es un grand garçon maintenant, hein ? »
Elle tendit un doigt vers lui, avant de frapper sa poitrine d’un coup sec et puissant, lui rappelant qu’en dépit de son apparence frêle et fragile, elle avait la force d’un ours. Elle en avait probablement le sale caractère aussi.
« Ecoute moi bien, espèce de sale petit ingrat … Je suis venu te mettre en garde, toi et tes amis. Les seigneurs des runes sont en train de revenir l’un après l’autre, et ils ne sont pas exactement heureux qu’un certain magicien ait participé à la mise à mort de deux d’entre eux ! Maintenant, est-ce que toi et les deux autres en bas êtes prêts à m’écouter pour augmenter vos chances de survie ? »

Maerlin la jaugea d’un air renfrogné. En bas, dans le grand hall, Pinkus et Cade avaient les yeux braqués sur eux, et le reste des gens présent commençaient à discuter entre eux, jetant des regards occasionnels. Partout dans le hall, on pouvait entendre des échos de phrases tels que « succube », « Il la connait ? » ou encore : « Hey, vous ne trouvez pas qu’ils ont un vague air de ressemblance ? ».
Il hocha lentement la tête, se forçant à se calmer et à penser de façon rationnelle :
« Ecoute … je sais que, à ta façon, tu tiens à moi. Pour autant qu’un dé… qu’une créature de ton genre puisse ressentir ce genre de sentiments pour un mortel. Pour son enfant. »
Il marqua une pause. C’était des rumeurs complètement folles et surement non vérifiés, mais il avait entendu dire qu’une succube avait aidé les champions qui avaient refermés la plaie du monde, il y a deux ans et quelque de cela. Une succube convertie à Desna. C’était surement grandement exagéré, mais cela prouvait que ces créatures étaient capables d’un certain degré d’empathie. Plus que les autres démons, en tous les cas.
« Mais je ne suis pas stupide. Je sais qu’en me donnant ces informations, tu avances ton propre agenda. Alors si tu veux que je te fasse confiance, il va falloir que tu me dises ce que tu gagnes à voir les seigneurs des runes définitivement vaincus. »

Delvahine affichait toujours son sourire enjôleur, mais à la façon dont sa queue fouettait l’air derrière elle, elle était clairement frustrée. Elle commença à répondre d’une voix lente et mesurée.
« Bien … disons que je sers actuellement les intérêts de quelqu’un. De mon plein gré. Et qu’aider ce quelqu’un permet également de faire progresser les intérêts de la dame de minuit. Mais sache que je suis toujours de ton côté. Je ne permettrais jamais à qui que ce soit de faire du mal à l’un de mes enfants. »
Maerlin pris la nouvelle avec un regard suspicieux. Il n’avait jamais été très doué pour « lire » les gens, mais elle semblait sincère.
« D’accord … admettons. Maintenant, je propose que nous allions tous nous isoler dans un bureau pour discuter de tout cela à tête reposée et …
-Héros de Pointesable ! »

La voix qui venait de résonner était forte et grave, et s’était hissé au-dessus du brouhaha général. Un petit groupe de personnes encapuchonnées venaient de pénétrer dans le hall d’entrée, et c’était leur leader qui venait de parler.
Pinkus les détailla d’un air méfiant : « C’est qui, ceux-là ? »
A côté de lui, Druül se mit à grogner, montrant ses crocs, se ramassant sur lui-même. En voyant cela, Cade répondit laconiquement : « des problèmes. » Sans rien ajouter d’autre, il activa les fourreaux dans ses manches, faisant jaillir ses dagues dans ses mains. Pinkus leva un sourcil quand il s’aperçu que celles-ci dégoulinaient de poison, mais il ne dit rien, portant la main à la garde de son épée longue, toutefois sans dégainer pour le moment.

En haut, Delvahine grinça des dents, reculant d’un pas. Elle avait vraiment l’air incommodée, à tel point que Maerlin lui demanda : « Mère ? Un problème ? »
Sans se retourner vers lui, elle serra le poing, tremblant légèrement : « Oh non … cette odeur … cette aura … non … »

Le leader des encapuchonnés pointa un doigt vers Delvahine : « Oui, tremble, succube ! » Puis il se retourna vers Pinkus et Cade : « Et tremblez, vous aussi, mortels ! La rage du Thassilon, mais aussi celle des abysses va s’abattre sur vous ! Vous pensiez vraiment pouvoir vous attaquez aux dirigeants légitimes du Thassilon sans en payer le prix ?»
Pinkus dégaina son épée, avant d’attraper le bouclier attaché dans son dos : « Ok, d’accord, on les tues … »
Les aventuriers assemblés dans le hall commencèrent à s’éloigner du groupe des encapuchonnés, certains dégainant leurs armes, d’autres se préparant à jeter un sort. Le personnel du manoir commença à battre sagement en retraite vers les sorties du hall.

Puis le leader des fanatiques saisit une amulette pendant à cou, rapidement imité par ses confrères. Il marmonna une incantation dans un abyssal inintelligible, avant de conclure : « Nos vies pour le Thassilon ! Nos vies pour les vrais dirigeants de la Varisie ! »
Maerlin ouvrit de grands yeux quand il analysa l’incantation, avant d’agripper la rambarde du balcon : « Pinkus ! Cade ! Ne restez pas en bas ! Tirez-vous ! »

Trop tard. En une fraction de de secondes, une lumière rouge pulsa des amulettes tenues par les cultistes. Ces derniers se mirent alors à hurler à l’agonie alors que leur corps se mit à trembler, dégageant une chaleur infernale, avant de commencer à de liquéfier dans un concert de cris cauchemardesques, répandant sang, graisse, entrailles et ossements sur le sol, dégageant une atroce odeur dans tout le hall.
Comme mue d’une vie propre, les flaques de sangs se mirent à bouger d’elle-même, traçant une sorte de vaste pentacle.

« Tout le monde ! Fuyez d’ici le plus vite possible ! » Maerlin hurla littéralement ces mots, avant d’incanter un sort de dissipation de la magie. Malheureusement pour lui, ce genre de sort était trop faible pour stopper un rituel aussi puissant, dont le pouvoir venait du sacrifice volontaire de tellement de gens. A côté de lui, Delvahine détacha le fouet enroulé autour de sa taille, l’empoignant fermement en main.
« Moi qui m’attendait à la voir fuir ...» se dit Maerlin. Puis il se concentra à nouveau sur ce qui se passait en bas. Si une dissipation de la magie ne suffisait pas … il commença à incanter un nouveau sort, bien plus puissant : une disjonction du mage. Mais le pentacle se termina avant qu’il ait finit de prononcer son incantation.
Les symboles de sang s’enflammèrent, alors que l’intérieur du pentacle commença à s’affaisser, avant que le sol ne commence carrément à s’effriter, révélant un abîme sans fond, entraînant dans sa chute une partie du mobilier de la pièce.

« Bordel, je hais la magie … » jura Pinkus en se retournant vers Cade, pour se rendre compte que ce dernier avait disparu. Le guerrier poussa un soupir : « Evidemment … ».

Alors que le sol continuait de s’effriter, des cris et des râles furieux commencèrent à s’élever de l’abîme, semblables au crissement du métal contre le métal, au bruit de rocs concassés les uns contre les autres.
Parmi les aventuriers présents, une petite poignée pris la fuite, que ce soit en brisant les fenêtres ou en s’enfonçant plus avant dans le bâtiment. Mais le reste cernait le cercle d’invocation, prêts à en découdre. Ils étaient tous tellement concentrés dessus que personne ne releva l’étrange créature, mi- femme, mi- lionne qui s’était jointe à l’assemblée, un arc à la main et un carquois au côté.

Maerlin hurla d’une voix presque fiévreuse : « Mais fuyez, bande d’idiots ! Qu’est-ce que vous croyez pouvoir faire contre une horde de … »
Sa voix fut noyée sous le concert de crissement furieux qui s’échappait du trou dans le hall. Puis, soudain, une masse d’horreurs infectes jaillit du trou, se jetant dans la foule avec les cris furieux de bêtes assoiffées de sang.
Il en y avait de tout type et de toute taille. Certaines guère plus grosses qu’un petit chien, tandis que d’autres avaient la taille massive d’un auroch, et il n’y en avait pas une qui ressemble à l’autre. Leur simple apparence suffit à faire flancher le cœur d’une bonne partie des aventuriers.
Il y avait de petites créatures rampantes, ressemblants à quelques insectes tout droit sortis d’un cauchemar. D’autres avaient l’apparence d’une sorte de bulbe noir et huileux doté de tentacules, sous le ventre duquel s’ouvrait une terrible gueule remplie de crocs, un immense et unique œil au sommet de leurs corps.
D’autres encore flottaient dans les airs, certains ressemblants à une masse d’entrailles au milieu de laquelle se trouvait une gueule circulaire remplie de crocs déformées, d’autres à des espèces de de poulpes bleuâtres, couverts de lésions abritant des dents grinçantes, des yeux bulbeux répartis le long de leur corps caoutchouteux.

Des qlippoths. Les terreurs des abysses, les habitants originels de ce plan, chassés dans ses profondeurs les plus obscures quand les démons devinrent les nouveaux seigneurs des lieux. Des créatures de pur chaos, de pure malfaisance, capable de faire trembler le plus endurci des démons.

Certains des aventuriers succombèrent à la terreur surnaturelle dégagée par les informes créatures, tombant à genoux en pleurant, lâchant leurs armes ou se mettant à rire comme des damnés, le regard fou. Ils furent les premières victimes de la marée abyssale, écrasés, broyés sous la masse de ces horreurs difformes.
Les autres, ceux qui avaient réussi à ne pas céder à cette terreur primale, tentèrent de contenir l’assaut. Mais les créatures étaient aussi terrifiantes que fortes – les lames glissaient sur leur peau caoutchouteuse, les flèches avaient du mal à percer ceux dotés d’une carapace de chitine, et si la magie faisait bien effet contre elles, les lanceurs de sorts réalisèrent rapidement que les créatures n’étaient pas affectées par les incantations convoquant glace ou acide, tout en résistant plutôt bien au reste.

Pinkus n’avait pas perdu de temps, étant parmi les premiers à se jeter dans la mêlée, taillant et tranchant, ici un tentacule, là une excroissance chitineuse ressemblant à une tête. Chaque coup qu’il portait le faisait gémir, et il en eu le souffle coupé quand une sorte de scolopendre géant recouvert de minuscules mains humanoïdes vint percuter son torse la tête en avant, tel un coup de bélier. Il sentit ses côtes brisées le lancer, et l’impact lui fit cracher du sang.
Il soufflait péniblement, et commençait à se relever à grand peine quand la scolopendre revint à l’assaut.
« Et merde … »
C’est alors que la vilaine tête déformée du monstre fut perforée de deux flèches, basculant en arrière, ses minuscules mains humanoïdes se tortillant de façon furieuse, agrippant l’air, avant de s’immobiliser définitivement. Il jeta un rapide coup d’œil en arrière, avisant une créature à mi-chemin entre la femme et le félin. Un rapide hochement de tête de remerciement, et il était debout, replongeant dans la mêlée, tentant de fermer son esprit aux élans de douleurs qui lançaient son torse.
Il bloqua avec son bouclier l’assaut d’une des créatures noires et bulbeuses qui s’apprêtait à dévorer un nain étendu au sol, grièvement blessé, son armure réduite en lambeaux.
Il sentit les dents du monstre crisser contre le métal de son bouclier, alors que l’œil gigantesque au sommet du corps de son adversaire remuait dans son orbite, le fixant sans ciller.
« Dégage de là ! »
Le nain babilla un remerciement, la bouche pleine de sang, avant de commencer à battre en retraite, s’appuyant sur son marteau de guerre. Soudain, un mouvement dans son dos. Pinkus senti une trainée de sueur froide descendre le long de son cou. Il ne se retournerait jamais assez vite. Pas avec l’autre monstruosité massive faisant pression sur son bouclier.
« T’en fait pas, je prends … »
La voix de Cade résonna derrière lui, et il entendit alors le bruit de dagues perforant une masse de chair, suivit du bruit sourd d’un corps qui s’effondre.
« T’était passé où ! » grogna le guerrier.
« Tous les combats ne sont pas fait pour être gérés frontalement, Pinkus … mais si tu crois que je vais fuir … »
Pinkus força un sourire, en dépit de la situation catastrophique : « Pourtant je me souviens d’une fois ou …
-Ça fait dix ans, sérieusement … lâche moi un peu la grappe avec ça, tu veux ? »
Soudain, Cade apparu au-dessus de lui, ayant pris appuis sur le corps d’une créature pour sauter en l’air, avant de retomber sur le monstre qui tentait de dévorer le bouclier de Pinkus. Il planta ses dagues dans l’œil du monstre, faisant gicler une substance épaisse et gluante du globe oculaire.
En bas, Druül mordait à pleine dents les tentacules du monstre huileux. Leurs actions combinées eurent tôt fait d’envoyer la créature au sol, et Pinkus l’acheva en plongeant son épée dans son gosier.
L’humain et le halfelin balayèrent la zone du regard, avisant un duo d’elfes en mauvaise posture face à une sorte d’araignée géante dotée de plusieurs têtes vociférantes tout autour de son corps, chaque gueule dégorgeant des tentacules dégoulinants de poison.
Pinkus souffla un bref instant, avant de dire : « L’araignée ?
-Ouais, l’araignée. »
Puis Il s’élança vers l’horreur informe, Cade et Druül derrière lui.

Au niveau du balcon, les choses n’étaient guère meilleures : les horreurs volantes tournaient autour de Delvahine et Maerlin, telle une nuée de charognards. Certaines s’élançaient périodiquement contre eux, uniquement pour être repoussées par un coup de fouet de la succube, ou un sort du tieffelin.

Maerlin tentait de garder la tête froide. S’il avait appris une chose au cour de ses aventures, c’était que même dans les situations les plus désespérées, il ne fallait jamais céder à la panique. C’est pourquoi il se forçait à ignorer les cris d’agonie de gens qui étaient en train de se faire massacrer en bas. Il ne pouvait rien faire pour eux pour le moment, et puis il y avait Pinkus et Cade, en bas. Non, il devait se concentrer sur les horreurs volantes qui les entouraient. Il s’adressa brièvement à Delvahine : « Mère ? Vous pouvez les retenir un petit moment ? J’ai un sort qui nous débloquerait un peu la situation, mais il va me falloir un peu de temps pour le lancer … »
La succube opina, lui répondant sans son habituel enrobage sensuel, d’une voix ou perçait une certaine tension : « Entendu … Du moment que ce n’est pas trop long …
-Merci, mère. »
Delvahine déploya alors ses grandes ailes de cuir, s’élançant dans la masse de ses adversaires, effectuant des piqués et des accélérations acrobatiques, plongeant ici, se décalant sur le côté-là.
Elle faisait tâter de son fouet barbelé aux horreurs flottantes. A chaque coup, les barbillons de son arme déchiraient la chair, crevaient des yeux, arrachaient des crocs branlants.
Cependant, elle recevait autant de coups qu’elle en donnait, noyée sous la masse de ses ennemis.
De son côté, Maerlin porta la main à sa sacoche à composantes, en sortant une petite bourse. Il commença à en répandre le contenue dans sa main, mélange de terre noire, sèche et de poudre de granite concassé.
« Rocs, rochers, montagnes, j’en appel à votre service … »
Il commença à tracer des symboles dans les airs, projetant la poudre terreuse dans ses mains autour de lui alors qu’il effectuait les mouvements.
« … respectez le pacte ancien, venez des failles les plus profondes. Devenez mon égide et mon bras armé ! »
Il jeta une nouvelle pincée de terre et de poussière de granite en l’air, avant de reprendre son incantation. C’est alors qu’une des créatures volantes déjoua la vigilance de Delvahine, se déplaçant à proximité de Maerlin. Elle ressemblait à une espèce de tête d’insecte géante toute boursouflée, des espèces de tumeurs fongiques poussant à travers les crevasses émaillant sa chitine. Maerlin continua son incantation – il ne devait s’arrêter sous aucun prétexte !

La chose se mit alors à faire claquer ses mandibules. Maerlin se prépara à se décaler sur le côté pour esquiver une éventuelle attaque, mais il se retrouva pris au dépourvu quand, plutôt que de foncer sur lui, l’horreur fongique vomit un flot d’acide. Il fut littéralement noyé sous le déluge, hurlant de douleur alors le liquide corrosif faisait fondre aussi bien sa chair que ses vêtements. Les vapeurs acres qui envahissaient son nez lui donnèrent le tournis, mais pour autant, il réussit à garder le fil de son incantation, alors que sa vue se troublait sous les vapeurs toxiques :
« Par le nom et la volonté de Sairazul, j’en appel à vous ! Cœur des montagnes, sortez de votre retraite pierreuse, et venez me servir !»
Il effectua les derniers gestes de son incantation les larmes aux yeux, sentant l’acide ronger ses chairs en profondeur. La seconde d’après, le corps de Delvahine vint s’écraser à côté de lui. Toute succube qu’elle soit, elle avait reçu une terrible correction, son corps lacéré par de profondes entailles, morsures et autres blessures sanguinolentes. Maerlin l’agrippa par les épaules, l’aidant à se redresser.
« Merci pour votre aide, mère … vous pouvez vous reposer maintenant, quelqu’un d’autre va prendre le relais … »
Alors qu’il prononçait ces mots, des pentacles d’un bleu lumineux apparurent à différents points du balcon, trois en tout. Et de ces derniers se mirent à émerger de titanesques humanoïdes dont le corps était constitué d’un agglomérat de rochers, de terre et de pierre solide. Maerlin n’eut qu’un mot à prononcer, et les trois seigneurs élémentaires de terre se mirent à projeter leurs immense bras en avant, attrapant des qlippoths volants, se mettant à les déchiqueter, à les déchirer en deux à la seule force de leurs bras rocheux.

Profitant de ce bref répit, Maerlin prononça rapidement une formule de protection destinée à neutraliser l’acide qui lui rongeait le corps. Le sort pris effet instantanément, mais le mal était déjà fait : son épaule et une partie de son bras gauche n’étaient plus qu’une masse de chair fondue, ou l’on voyait presque les os ressortir par endroit.
Les qlippoths volants tentèrent un instant de passer outre la défense des élémentaires, mais les massives créatures veillaient au grain, et ceux qui fonçaient directement sur Maerlin ou Delvahine étaient rapidement attrapés puis broyés entre leurs solides mains pierreuses.
Cependant, alors que le nombre d’horreurs volantes se réduisaient à peau de chagrin, un des élémentaires finit par être terrassé, et il s’effondra de tout son long, créant l’effet d’une avalanche de pierre sur le balcon. Ce dernier se mis alors à craquer et gémir de façon inquiétante.
« Oh non … »
L’instant d’après, le balcon finit de se briser, et Maerlin ainsi que Delvahine chutèrent en contrebas, dans un déluge de bois et de pierre. Les deux élémentaires qui restaient furent brisés par la chute, et Maerlin lui-même sentit son dos percuter le sol avec fracas. Delvahine, elle tomba à terre avec lenteur et légèreté : Maerlin avait lancé en catastrophe un sort de feuille morte sur sa mère. Blessée comme elle l’était, il n’était pas sûr qu’elle survive à la chute, c’est pourquoi il l’avait priorisé par rapport à sa propre personne.

Delvahine eu un frisson, commençant à se relever avec peine, tirant Maerlin debout avec elle.
« Eh … alors comme ça, tu aimes vraiment ta pauvre vieille maman, hein ? »
Maerlin se contenta d’un sourire fatigué. Il regarda autour de lui : la quasi-totalité des créatures étaient mortes ou mourantes, leurs formes impossibles convulsant sur le sol de façon obscène. De nombreux cadavres d’aventuriers jonchaient également le sol, dans des mares de sang et d’entrailles.
Un petit groupe tenait encore bon, constitué de Pinkus, Cade et Ellulae, ainsi que Druül. Ils avaient même réussi à tirer derrière eu une poignée de blessés graves, hors de combat. Cependant, ses camarades faisaient peine à voir : Pinkus était plié en deux, gémissant d’une manière sourde. Cade avait le visage barbouillé de sang et un œil fermé. Ellulae affichait de vilains sillons sur son corps léonin, ses puissantes pattes tremblantes, sans doute sous l’effet de quelque poison. Quant à Druül, son pelage avait viré au rouge, mais il était difficile de dire si c’était son propre sang ou celui de ses victimes qui le recouvrait.
Face à eux, il ne restait guère plus qu’une poignée de créatures, comme si l’abîme avait vomi tout son contenu d’atrocités sur la loge.
En soufflant, Cade attrapa un objet dans une de ses sacoches : « Vous m’excuserez, mais je commence à fatiguer un peu, alors je vais laisser quelqu’un d’autre finir le travail … »
Il lança alors sur le sol une compacte statuette de marbre, sculptée sous les traits d’un éléphant. Un mot de commande plus tard, la statuette se transformait en véritable éléphant, chargeant les qlippoths, en empalant un sur ses défenses.
Pinkus ne put réprimer un éclat de rire : « Sérieusement, tu à encore ce truc ? »
Cade eu un sourire amusé : « Hey, il nous avait bien servit à l’époque, contre Karzoug ! »
Devant l’absurdité de la situation, Maerlin aussi se mit à rire, bientôt rejoint par Delvahine.

Puis un nouveau rugissement retenti dans l’abîme. Plus féroce, plus furieux que tous les autres. Le sourire qu’avaient affiché nos héros disparu bien vite, lorsqu’une nouvelle créature émergea de l’abîme. Elle était immense, faisant presque passer l’éléphant de Cade pour une créature de petite taille. Son corps ressemblait à celui d’une araignée boursouflée, aux pattes reliées par une sorte de membrane de cuir. Derrière elle, trois queues barbelées fouettaient l’air, alors qu’une grande paire d’ailes membraneuses ornaient son dos. Son visage était une vision d’horreur, déformé et tuméfié, doté de crocs irréguliers faisant la taille d’épées courtes, et en guise de langue, c’était un énorme tentacule qui s’agitait dans sa bouche. La chose fit cliqueter ses pates chitineuses sur le sol, et ce simple mouvement suffit à fissurer le carrelage.

Pinkus prit une profonde inspiration, tentant de se redresser debout. Peine perdu, ses poumons n’étaient plus qu’un brasier ardent, et le simple fait de respirer mobilisait toutes ses forces. Cade passa la main sur son visage, enlevant une partie du sang qui le maculait. Il ne sentait plus son œil droit et n’arrivait plus à l’ouvrir. A côté de lui, Druül couinait avec peine, tremblant de tous ses membres.
Ellulae suait à grosses gouttes, alors que du sang s’écoulait des plaies sur son flanc, formant une petite marre rouge en dessous elle.
Delvahine n’était plus qu’une masse de chair mutilée, et le fait qu’elle tienne encore debout était déjà un miracle en soi. Quant à Maerlin, Il tentait vainement de prononcer de nouvelles incantations, mais son bras endommagé par l’acide le lançait de douleur, et il n’arrivait plus à lancer ses sorts correctement, incapable de reproduire les gestes précis nécessaires à cet exercice.

Ils échangèrent un regard entendu, alors que l’éléphant invoqué par Cade tentait de retenir l’impossible monstruosité qui leur faisait face. Ils n’étaient pas dupes. Leur gardien serait vite terrassé.
Cade eu un rire nerveux : « C’est dommage qu’on n’ait plus de soigneur dédié dans l’équipe …ça nous aurait bien servi, là, tout de suite … »
Pinkus secoua la tête : «Ne t’en fait pas, on va vite le rejoindre … »
Derrière eux, Ellulae murmura d’une voix faible : « Je suis désolée, j’ai utilisé tous mes sorts de soins pour stabiliser les blessés derrière nous … »
Maerlin lui répondit d’une voix calme : « Et vous avez bien fait. » Puis il se retourna vers Delvahine : « Mère … vous devriez fuir tant qu’il en est encore temps. »
Cette dernière eu un sourire forcé : « Je doute que la dame de minuit apprécie le fait que je vous abandonne à votre mort, toi et tes camarades. Je n’ai pas vraiment le choix … »

Devant eux, comme prévu, l’éléphant venait d’être réduit en charpie par l’obscène monstruosité, son cadavre chutant sur le côté dans un bruit de tonnerre, avant de redevenir une statuette de marbre.

Maerlin ferma les yeux : « Mes amis, mère, miss Ellulae … ce fut un honneur de … »
Il fut interrompu par une voix forte et impérieuse, résonnant dans le hall : « N’abandonnez pas mes amis ! Reprenez espoir, car Sarenrae est avec vous ! »

L’instant d’après, une silhouette remontait le hall à toute vitesse, propulsé par des ailes de pure flammes. Elle passa sur le côté de l’énorme qlippoth, fauchant ses pattes d’un coup d’épée à deux mains, déstabilisant la créature, la faisant tomber à la renverse, les quatre fers en l’air. Leur sauveur se posa alors devant eux. Pinkus, Cade et Maerlin n’en croyaient pas leurs yeux. Jyraël était devant eux, comme s’il était tout droit sorti de leurs souvenirs respectifs.
Son armure rutilante, sa large épée à deux mains, la lame nimbée de petits éclairs crépitants, son visage fier et confiant. Seules les ailes de flammes étaient une nouveauté. Devant le visage confus de ses camarades, Jyraël eu un sourire apaisant : « Je comprends, vous avez surement de nombreuses questions à me poser. Et j’y répondrais. Mais pour le moment … »
Il se retourna vers le qlippoth, alors qu’il tortillait son horrible masse déformée pour se remettre debout.
« … il faut que je m’occupe de cette horreur. »

Il avança d’un pas confiant en direction de la créature, son épée à deux mains calée sur son épaule, sa main libre traçant un sort. Il jeta un regard dur au qlippoth.
« Tu n’as pas ta place dans ce monde, monstruosité impie. Par la grâce de Sarenrae, je vais te purifier et te renvoyer dans l’abysse sans nom de laquelle tu n’aurais jamais dû sortir ! »
En guise de réponse, le qlippoth poussa un rugissement qui fit trembler les murs du manoir. Il se mit alors à charger en direction de Jyraël, cherchant à le gober dans sa monstrueuse gueule. Mais les ailes de feu de Jyraël lui donnaient une mobilité incroyable, en dépit de son lourd harnois. Alors que la gueule du monstre claquait dans le vide, il passa à toute vitesse sous le corps de ce dernier, éventrant son abdomen dans un bruit de crépitement électrique, d’un puissant coup d’épée.
Alors que le qlippoth se remettait à peine du coup, ses entrailles chutant sous lui, Jyraël se retourna vers lui, tendant la main, murmurant une incantation, avant de commencer à refermer son poing.
Le monstre se mit alors à rugir de douleur, alors que son abdomen se contractait, comme s’il était effectivement broyé par quelque main géante. Des flammes à la lueur dorée se mirent à alors à jaillir ses plaies.
Jyraël ferma les yeux, prononçant sa sentence d’une voix calme : « Disparais de ce monde. »
La créature commença alors à agiter ses membres chitineux de plus belle, alors que son corps se repliait sur lui-même, lentement recouvert de flammes purificatrices. Un simple mouvement des doigts de Jyraël, et le corps du monstre implosa dans un déluge de flammes, consumant tout son être dans une chaleur intense. Bientôt, il ne resta plus qu’une vaste pile de cendres là où il se tenait, un instant auparavant.

« Et pour ce qui est de cette faille … »
Jyraël planta son arme dans le sol, avant de commencer à prier sa déesse. Au fur et à mesure de son chant sacré, une douce lueur se concentra entre ses mains. Au terme de l’incantation, il se mit à genoux, apposant ses mains sur le sol. Ce dernier se mis à trembler, alors qu’une colonne de lumière aveuglante se déversait dans l’abîme. Il sembla à nos héros entendre un cri de frustration lointain, poussé par un millier de voix furieuses, dans un langage impossible et terrifiant. Puis … plus rien.
Jyraël se releva, avisant Maerlin :
« J’ai refermé la faille vers les abysses, mais j’ai bien peur de ne rien pouvoir faire pour l’état de ta loge, mon ami. Cependant, je peux au moins faire ceci … »
A nouveau, il murmura une incantation, canalisant le pouvoir de la déesse dans ses mains. Des vagues de douces chaleur se déversèrent dans le hall, et tous ceux qui étaient touchés par cette lueur réconfortante virent leurs plaies se refermer, leurs os se ressouder. Ceux qui souffraient des ravages du poison ou bien des troubles mentaux causés par les terrifiants qlippoths furent instantanément guéris également.
Là où, un instant auparavant, il n’y avait que blessés graves et moribonds, se tenaient à présent des gens en parfaite santé. Pinkus passa la main sur son poitrail, sentant que ses côtes n’étaient plus cassées. Il en poussa un soupir de soulagement.

Jyraël arracha son épée du sol, avant de la replacer dans son dos. Il se retourna lentement, souriant à ses compagnons. Il prit le temps de les détailler. Ils avaient vieillis, pour sûr. Pris quelques rides.
« Désolé d’arriver si tard, mes amis. Si j’avais su ce qui aller se passer je … »
Il fut interrompu par Maerlin : « Attends, attends … Jyraël ? Comment … Pourquoi …
-Je ne sais pas vraiment moi-même. La déesse à juger bon de me faire revenir, et je doute que c’était juste pour vous prêter main forte ici et maintenant. Il y a surement autre chose. Je veux dire … quelles étaient les chances que je tombe sur vous tous en même temps ? »
Avant qu’il ne puisse continuer à parler plus avant, ses trois camarades d’antan se jetèrent sur lui, le serrant dans leurs bras. Tous avaient les larmes aux yeux.
Pinkus fut le premier à se laisser aller aux effusions amicales : « Tu nous as manqués, espèce d’idiot … ». S’il ne disait rien, quant à lui, Maerlin était tous aussi ému que son camarade. Et en ce qui concerne Cade, même s’il s’écarta bien vite de Jyraël après l’étreinte initiale, séchant ses larmes, il était évident que lui aussi était heureux.

Derrière ses camarades, Delvahine fit un petit salut de la main au prêtre de Sarenrae, alors que derrière elle, Ellulae aidait les survivants miraculés à se relever. Jyraël fronça les sourcils : « Mes yeux ne me trompent pas ? C’est bien ta mère Maerlin ? Je croyais qu’elle était enfermée pour toujours dans la forge runique ? »
Le magicien haussa les épaules : « Il s’est passé un certain nombre de choses en dix ans, Jyraël. Beaucoup de choses … »

Les heures qui suivirent furent éprouvantes pour Maerlin. Il travailla de pair avec ses agents et employés survivants pour identifier tous les morts qui jonchaient le sol, victimes des Qlippoth. Quiconque le regardais n’avait aucun mal à deviner la douleur qui enserrait son cœur – il avait toujours mis un point d’honneur à connaître personnellement ses agents de terrain et ses employés. Chacun de ces morts avait été un ami. Jyraël se mit à effectuer les premiers rites mortuaires sur les corps pour éviter qu’ils ne reviennent en tant que morts-vivants vengeurs.

De leur côté, Ellulae et Pinkus mirent leur force à profit pour jeter les dépouilles des Qlippoths dans l’abîme qui s’ouvrait désormais dans le hall du manoir. Cade, quant à lui, examinait méticuleusement ce qui restait des dépouilles des cultistes, cherchant le moindre indice qui pourrait les avancer sur la raison d’un tel assaut. Sans succès.

Delvahine, enfin, se contenta de regarder chacun faire, tout en prenant garde de ne pas s’approcher de trop près des carcasses des Qlippoths. Même morts, il semblait lui causer une aversion certaine. Trop heureux d’être encore en vie, les membres survivants de la société des éclaireurs ne vinrent pas lui poser la moindre question ou lui chercher des noises. Ils l’avaient vu mettre sa vie en jeu pour défendre leur patron, après tout.

Bien sûr, avec le remue-ménage que cet assaut avait causé, la garde de Magnimar et ses agents finirent par venir au manoir Heidmarch, mais ils furent rapidement pris en charge par Cade – après tout, en tant que chef des services secrets de la ville, il était bien au-dessus d’eux en terme de grade.
Ce n’est qu’en fin de journée que les choses retrouvèrent un semblant de normalité : Les corps des défunts furent transportés dans les divers temples de la ville, en fonction des croyances de chacun, et le trou dans le hall central résorbé par l’usage de puissants sorts de la part de Maerlin.
C’est donc à la lueur des chandelles que nos héros se retrouvèrent dans le bureau de Maerlin, face à Delvahine. La succube avait mise de côté son habituelle personnalité de séductrice pour prendre un ton des plus sérieux.

« Bien … Je pense qu’avec ce qui s’est passé aujourd’hui, je n’ai pas besoin de vous dire à quel point le retour des seigneurs des runes à la surface de Golarion sera un désastre, non seulement pour la Varisie, mais pour les pays voisins. »
Pinkus soupira, secouant la tête : « Ils sont vraiment en train de revenir ? Tous ceux qui restent ? »
Maerlin opina du chef : « C’était destiné à arriver tôt ou tard, de toute façon. A partir du moment où Karzoug à trouver un moyen, il était évident que les autres finiraient par y arriver aussi un jour. »
Cade grommela une injure dans sa barbe, tandis que Jyraël dit d’une voix douce : « J’ai du mal à croire qu’ils vont revenir tous les six en même temps. Il y en aura forcément qui reviendront plus vite que d’autre et … »
Il fut interrompu par Maerlin : « Cinq, Jyraël. Il n’en reste plus que cinq. Krune a déjà fait son retour il y a 5 ans, et je peux confirmer qu’il est maintenant définitivement mort. Je fais partis des gens qui l’on combattus. Et de fait … »
Il fit une pause.
« En soit, on pourrait même descendre le nombre à quatre. Zutha, le seigneur des runes de la gourmandise, ne risque pas de revenir de sitôt. »
Devant les regards incrédules de ses camarades, il décida qu’il devait détailler les choses de façon plus explicite : « Bien … Comme vous vous souvenez peut-être, le pêché de la gourmandise était associé à la magie de Nécromancie dans le Thassilon. Zutha était une liche, et en tant quel tel, il avait un phylactère. Vous savez ce qu’est un phylactère ? »
Devant les hochements de tête approbateurs de ses camarades, il continua : «Parfait. Normalement, une liche fait en sorte de protéger son phylactère du mieux qu’elle le peut. Mais Zutha est allé largement plus loin que les autres. Il réussit – les dieux seuls savent comment – à séparer son phylactère en trois parties. Trois grimoires de magie nécromantique, nommés … »
Cade leva une main : « En soit, on ne s’en fiche pas un peu du nom de ces bouquins ? »
Cela causa un léger rire de la part de Delvahine, alors que Maerlin se mit à soupirer.
« Ahem … donc … pour faire court … un agent des éclaireurs, le comte Varyan Jeggare, à retrouver et assemblé ces livres il y a trois ans de cela – son esprit était possédé par celui de Zutha. Heureusement, ses compagnons réussirent à briser cette emprise, et le phylactère finit de nouveau séparé en trois, chaque partie expédiée dans je ne sais quel endroit. »
Pinkus croisa les bras : « Et c’est une bonne nouvelle ? »
Maerlin acquiesça : « Oh que oui ! Même si un groupe d’inconscients se mettait en tête de reconstituer à nouveau ce phylactère, cela leur prendrait certainement des années pour y arriver. En d’autres termes, Zutha peut être laissé de côté pour le moment. Si jamais il devait finir par revenir, ce ne sera certainement pas avant que nous ayons eu le temps de gérer les autres. »

Cade se cala en arrière dans son siège : « Il n’empêche, ça fait quatre seigneurs des runes. La dernière fois qu’on en a combattu un, il a mis le pays entier à feu à sang. Et on a tous failli y passer un certain nombre de fois. Certains sont même vraiment mort … »
Son regard s’attarda sur Jyraël un instant, avant qu’il ne conclue : «Je sais qu’on est plus aguerri qu’autrefois, mais sérieusement ? Quatre en même temps ? Sans compter qu’ils ont certainement un paquet de serviteurs en stases ou je ne sais quoi qui n’attendent que d’être réveillés pour satisfaire leurs moindres caprices ! »
C’est alors que Delvahine repris la main : « Certes, la situation est critique. Mais je viens à vous avec la localisation de l’un d’entre eux. C’est déjà quelque chose, vous ne croyez pas ? Ce sera bien la première fois que vous pourrez vous attaquer à l’un d’entre eux de façon préventive plutôt que d’attendre de vous faire frapper pour riposter !»
Pinkus secoua la tête : « Je ne comprends toujours pas pourquoi un démon s’intéresse au sort de la Varisie et cherche à nous aider, mais bon … » Il se retourna vers ses camarades : « Elle n’a pas tort. Il est temps qu’on passe à l’offensive si on ne veut pas que la situation devienne ingérable. J’ai eu à combattre un géant runique en solo à la montagne crochue, et je ne suis pas pressé de recommencer de sitôt. »
Cade serra le poing : « Et moi, j’ai dû m’extraire d’une embuscade de traqueurs sans visage. Ça prouve qu’au minimum l’un d’entre eux est réveillé et qu’il tente de nous mettre hors-jeu avant qu’on puisse s’organiser. Oui, Delvahine est une succube, mais au point où en sont les choses, peut m’importe que mon salut vienne d’un démon. »

Delvahine se permit un sourire amusé : « Oh, si vous saviez … le monde des mortels n’est pas le seul en proie à des changements. Avec, disons … la nouvelle façon de penser de dame Nocticula, les abysses elle-même sont en proie à une grande transformation ! Du moins, son ancien royaume d’Alushinara … De plus, seigneur des runes ou simple manant, je ne laisserais jamais personne faire du mal au moindre de mes enfants ! »
Elle prononça ces mots avec une rage et une fureur si absolue que personne n’osa rien ajouter au débat.
Cade se leva alors de son siège : « Bien … si on doit partir en expédition, j’ai du matériel à récupérer, et ma hiérarchie à prévenir. Alors j’y vais. On se retrouve ici demain matin, ça convient à tout le monde ? »
Maerlin acquiesça : « Pareil pour moi, je vais devoir demander à ce que quelqu’un prenne la loge en charge pendant mon absence. Il faut aussi que je fasse un briefing de mission plus détaillé à dame Ellulae avant de partir. »
Pinkus lui demanda d’un air curieux : « Tu à des gens en vue ?
-Les époux Heidmarch. C’étaient eux qui géraient l’endroit avant que la charge ne me revienne. Sans compter qu’une de mes agentes, Koriah Azmeren, m’aide déjà au quotidien. A eux trois, ils devraient se débrouiller. J’ai juste besoin d’envoyer un message à Absalom et les époux Heidmarch devraient être là dès demain. »
Devant l’air curieux de Jyraël, il ajouta : « La loge à des services de téléportation fort efficaces pour ses membres les plus hauts placés. »

Les quatre héros se regardèrent l’un l’autre. Jyraël souriait : « De nouveau sur la route, comme au bon vieux temps, hein ? ».
Pinkus lui fit une petite tape dans le dos : « Ouais, j’imagine qu’après dix ans passés à roupiller, tu à envie de te dégourdir les jambes … ».
Cade gardait son air sérieux : « A demain, donc … on va leur faire regretter d’être revenu, à ces vieux mages aigris … »
Maerlin conclue la discussion : « Oui. Leur temps est passé, et la Varisie se porte bien mieux sans eux. »

Delvahine leur fit ses adieux, avant de se téléporter, de retour dans son palais, anciennement la forge runique. Tout était en place, il ne restait plus à espérer que son fils et ses amis auraient autant de chance que contre Karzoug avec les autres seigneurs des runes. Quitte à ce qu’elle leur donne un petit coup de pouce ici et là …
Elle sourit. Oui, les mois à venir s’annonçaient intéressant et dangereux. Mais après tout, le danger était le sel de la vie …
"As creators, we're only as good as the obscurity of the references we steal from" - Matt Colville
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